Comme
je l'avais écrit sur les cinémas chinois au début du mois, le
cinéma thaïlandais est un no mans's land dans les salles
françaises. Je suis pourtant sûr qu'il se produit des films en
Thaïlande. Jadis, il y a près de 20 ans, Wisit Sasanathieng et
Pen-ek Ratanaruang ont eu leur petite heure de gloire et aujourd'hui
il ne reste qu'un seul nom synonyme de cinéma thaïlandais :
Apichatpong Weerasethakul. Faut pas se leurrer, si Manta Ray sort, en
pleine torpeur estivale certes, c'est uniquement parce que ça fait
penser à du Apichatpong.
Effectivement,
on est en terrain connu, en l'occurrence une forêt tropicale filmée
de nuit avec ces sons d'animaux qui évoquent immédiatement un
exotisme mystérieux tout autant qu'une atmosphère moite. On se
déplace dans cette forêt, au milieu de ce noir incertain on
discerne une silhouette, on le discerne d'autant mieux qu'elle est
accompagnée, comme par magie de guirlandes électriques
clignotantes. C'est très beau, relativement surprenant et cela lance
le dispositif formel du film de Phuttiphong Aroonpheng, son premier
long métrage.
Ce
qui s'échappe du film qui est superbe et divertissant, ce sont
toutes ces lumières que le cinéaste s'amuse à placer dans chaque
recoin du plan. Loin de lasser, cela éclaire littéralement les
zones d'ombre du récit. Néon, enseignes, réverbères de la ville
lors des nombreuses séquences nocturnes. Lampions de la fête
foraine. Guirlandes de la forêt et dans la maison des personnages
principaux. Mais aussi reflets sur l'eau, le jetée, la rivière.
Pierres incandescentes qui sortent de terre. Et en tout premier lieu,
les cheveux blonds du jeune pécheur (Wanlop Rumkumgjad).
On
ne saura jamais son nom mais on suit ses activités journalières, là
encore quand elles sont compréhensibles. On pige bien qu'il bosse
sur un bateau de pêche, chaque jour, le même rituel avec les mêmes
plans sont montrés. La routine est filmée avec une certaine pose
documentaire. Mais parfois, on a un peu du mal à imaginer ces
balades en forêt, ces « cueillettes » de pierres
semi-précieuses qu'il jette ensuite de sa barque au milieu de la mer
pour attirer les raies manta (le titre du film s'explique enfin).
Parfois il porte une cagoule et braconne (si j'ai bien compris).
Notre
homme blond va tomber sur un jeune homme blessé par balle (Aphisit
Hama). Une balle en pleine poitrine et il va le soigner, l'adopter et
lui donner un nom, Tongchai. Là encore, le cinéaste procède
formellement à l'élaboration du personnage. Aucune psychologie,
aucun passé (on imagine bien qu'il est un réfugié Rohingya mais
libre au spectateur de faire son film), en lieu et place une absence
de mots. Tongchai ne prononcera pas une seule syllabe. Son hôte lui
apprendra à défaut un étrange cri guttural.
La
première heure est belle et mystérieuse. Les nœuds relationnels
entre les deux hommes, ce grand blond et ce grand brun se développent
lentement mais sûrement, ils inventent sous nos yeux une vie à deux
par défaut. Ils se complètent totalement, dans un silence qui n'est
traversé par les bruits de la forêt tropical. Parce qu'il tourne un
film essentiellement formel, le cinéaste se préoccupe peu de
réalisme, de savoir ce que les personnages secondaires pensent de ce
qui semble petit à petit devenir un couple dans cette maison
pleines de guirlandes colorées.
La
deuxième heure nous fait le coup de la disparition. Soudain, le
pêcheur ne rentre plus le soir. Tongchai avait pris l'habitude, une
fois sa blessure soignée, de venir chercher son ami. À partir de ce
moment, Tongchai adopte seul le point de vue narratif et commence à
prendre la place et l'aspect de l'autre : short en jean, coupe
blonde. Puis c'est le retour de l'épouse du pêcheur, Saijai (Rasmee
Wayrana) évoquée dans la première heure. L'atmosphère mystérieuse
disparaît un peu, le film subit quelques flottements (plutôt que
longueurs) mais s'en sort avec mention bien.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire