vendredi 26 juillet 2019

Manta ray (Phuttiphong Aroonpheng, 2018)


Comme je l'avais écrit sur les cinémas chinois au début du mois, le cinéma thaïlandais est un no mans's land dans les salles françaises. Je suis pourtant sûr qu'il se produit des films en Thaïlande. Jadis, il y a près de 20 ans, Wisit Sasanathieng et Pen-ek Ratanaruang ont eu leur petite heure de gloire et aujourd'hui il ne reste qu'un seul nom synonyme de cinéma thaïlandais : Apichatpong Weerasethakul. Faut pas se leurrer, si Manta Ray sort, en pleine torpeur estivale certes, c'est uniquement parce que ça fait penser à du Apichatpong.

Effectivement, on est en terrain connu, en l'occurrence une forêt tropicale filmée de nuit avec ces sons d'animaux qui évoquent immédiatement un exotisme mystérieux tout autant qu'une atmosphère moite. On se déplace dans cette forêt, au milieu de ce noir incertain on discerne une silhouette, on le discerne d'autant mieux qu'elle est accompagnée, comme par magie de guirlandes électriques clignotantes. C'est très beau, relativement surprenant et cela lance le dispositif formel du film de Phuttiphong Aroonpheng, son premier long métrage.

Ce qui s'échappe du film qui est superbe et divertissant, ce sont toutes ces lumières que le cinéaste s'amuse à placer dans chaque recoin du plan. Loin de lasser, cela éclaire littéralement les zones d'ombre du récit. Néon, enseignes, réverbères de la ville lors des nombreuses séquences nocturnes. Lampions de la fête foraine. Guirlandes de la forêt et dans la maison des personnages principaux. Mais aussi reflets sur l'eau, le jetée, la rivière. Pierres incandescentes qui sortent de terre. Et en tout premier lieu, les cheveux blonds du jeune pécheur (Wanlop Rumkumgjad).

On ne saura jamais son nom mais on suit ses activités journalières, là encore quand elles sont compréhensibles. On pige bien qu'il bosse sur un bateau de pêche, chaque jour, le même rituel avec les mêmes plans sont montrés. La routine est filmée avec une certaine pose documentaire. Mais parfois, on a un peu du mal à imaginer ces balades en forêt, ces « cueillettes » de pierres semi-précieuses qu'il jette ensuite de sa barque au milieu de la mer pour attirer les raies manta (le titre du film s'explique enfin). Parfois il porte une cagoule et braconne (si j'ai bien compris).

Notre homme blond va tomber sur un jeune homme blessé par balle (Aphisit Hama). Une balle en pleine poitrine et il va le soigner, l'adopter et lui donner un nom, Tongchai. Là encore, le cinéaste procède formellement à l'élaboration du personnage. Aucune psychologie, aucun passé (on imagine bien qu'il est un réfugié Rohingya mais libre au spectateur de faire son film), en lieu et place une absence de mots. Tongchai ne prononcera pas une seule syllabe. Son hôte lui apprendra à défaut un étrange cri guttural.

La première heure est belle et mystérieuse. Les nœuds relationnels entre les deux hommes, ce grand blond et ce grand brun se développent lentement mais sûrement, ils inventent sous nos yeux une vie à deux par défaut. Ils se complètent totalement, dans un silence qui n'est traversé par les bruits de la forêt tropical. Parce qu'il tourne un film essentiellement formel, le cinéaste se préoccupe peu de réalisme, de savoir ce que les personnages secondaires pensent de ce qui semble petit à petit devenir un couple dans cette maison pleines de guirlandes colorées.

La deuxième heure nous fait le coup de la disparition. Soudain, le pêcheur ne rentre plus le soir. Tongchai avait pris l'habitude, une fois sa blessure soignée, de venir chercher son ami. À partir de ce moment, Tongchai adopte seul le point de vue narratif et commence à prendre la place et l'aspect de l'autre : short en jean, coupe blonde. Puis c'est le retour de l'épouse du pêcheur, Saijai (Rasmee Wayrana) évoquée dans la première heure. L'atmosphère mystérieuse disparaît un peu, le film subit quelques flottements (plutôt que longueurs) mais s'en sort avec mention bien.

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