lundi 29 juillet 2019

Le Dictateur (Charles Chaplin, 1940)

Le prologue du Dictateur a à peu près la même durée que Charlot soldat sorti en 1918. C'est justement en 1918 que commence ce prologue, le dernier jour de la guerre et le soldat que campe Charles Chaplin est aussi maladroit que celui de Charlot soldat, ce peloton des maladroits. Il est affecté au maniement du canon surnommé la grosse Bertha. Son rôle est subalterne, ridicule même, après qu'un missile ait été mis dans le canon, il doit tirer la corde qui actionne le lancement. Un simple geste qui va provoquer la mort à des kilomètres de là.

Bertha s'emballe au fil des coups de canon. La bombe au lieu de partir loin tombe comme une crotte juste là, prête à exploser. Avec trois fois, Chaplin montre la lâcheté de ceux qui ordonnent de lancer des bombes. L'officier le plus supérieur donne un ordre à un officier moins gradé, ce dernier remet l'ordre à un autre encore moins gradé et ainsi de suite jusqu'à arriver à Charlot qui doit tenter de dégoupiller l'ogive qui se met à tourner sur elle-même, semblant poursuivre le pauvre soldat effrayé et comme c'est Charlot, il s'enfuit.

Pendant ce court quart d'heure d'ouverture situé en 1918, la guerre est montrée avec son lot d'injustice et d'ordres insensés. Mais aussi la peur qui envahit le soldat qui se retrouve soudain dans le camp adverse à cause de la fumée qui avait tout obscurci. On découvre aussi comment Charlot est devenu amnésique, à cause d'un grave accident d'avion avec le commandant Schulz (Reginald Gardiner), un haut gradé et cela aura son importance plus tard dans le film quand les deux hommes se retrouveront au hasard de leur vie respective.

Charlot est amnésique, non seulement il ne se rappelle pas la guerre vécue mais en plus il vit protégé de tout ce qui se passe en 20 ans. Car 20 ans plus tard, la vie a bien changé. Ce pays pour lequel il s'était battu, tant bien que mal, a comme leader l'épouvantable Hynkel. Une question de moustache, comme on dit, qui a piqué la moustache à l'autre. Comme le dit avec sarcasme un carton du générique « toute ressemblance entre Hynkel et le barbier serait le fruit du hasard ». et ce pays qui a bien changé, ce n'est pas l'Allemagne mais la Tomania.

Pourquoi changer Hitler en Hynkel, l'Allemagne en Tomania et plus tard dans le récit Mussolini en Napaloni et son pays non pas l'Italie mais la Bactérie ? Pas par peur des représailles, quoique, aux USA en octobre 1940 quand sort Le Dictateur, il y a encore beaucoup de monde pour affirmer que la guerre ne concerne que l'Europe et de nombreux politiciens américains admirent Hitler. Mais quitte à faire un film anti-nazi, autant faire un film anti dictature et aujourd'hui avec le « virus orange » de la Maison Blanche certaines phrases résonnent formidablement.

Ces phrases de Hynkel ce sont d'abord des borborygmes. Chaplin joue avec sa voix, avec ses intonations, avec ses accentuations. Presque aucun mot n'est reconnaissable mais tout est compréhensible. Quel morceau de génie que ce premier discours où les micros se plient devant la violence de son discours. Où il interrompt de sa main les applaudissements d'une foule totalement hypnotisée et abrutie par ce long discours de haine qu'une voix douce traduit de quelques phrases laconiques avec une ironie troublante.

Le discours s'adresse aux « Enfants de la Double Croix ». La double croix est le symbole de ce pouvoir qui martyrise les Juifs du ghetto (le terme est du film). Dès 1940, le monde entier, enfin ceux qui avaient pu voir le film, savait que les Juifs étaient persécutés. Des dialogues entre Hynkel et Garbitsch (Henry Daniell), parodie de Goebbels, ministre de l'intérieur et de la propagande, évoquent les camps de concentration, l'idée de tuer tous les Juifs, de faire brûler leurs maisons dans le ghetto. Rarement un personnage d'un film de Chaplin aura paru aussi antipathique.

On découvre Garbitsch lors de ce premier discours. Il est à la droite de Hynkel et à sa gauche se trouve le feld-maréchal Herring (Billy Gilbert), homme stupide et gauche. Herring gros bonhomme qui arbore ses médailles est toujours content de lui quand Gabitsch ne se sépare pas d'un visage las et plein de dédain. Herring ne propose pas de tuer tout le monde à son chef mais des inventions toutes plus minables les unes que les autres (un gilet anti-balles en soie, un parachute en forme de chapeau) qui se soldent immanquablement par la mort de leurs inventeurs lors des tests.

Herring est un peu le comique troupier et ridicule de service au milieu de ces affreux jojos. Celui qui est toujours trop couillon et qui se fait avoir. Cela dit, Hynkel n'est jamais avare de facéties en tout genre et de bévues. Là aussi, pour Chaplin il faut démontrer le caractère guignolesque de ces hommes, le sérieux qu'ils se donnent à représenter pour dissimuler leur simulacre, comme le feront plus tard Mel Brooks dans Les Producteurs et Jerry Lewis dans Ya ya mon général (Which way to the front).

Le discours change en fonction de leur besoin, pure hypocrisie des dominants qui ont soudain besoin de l'argent du banquier Epstein pour équiper leur armée enfin d'envahir l'Osterlich, le pays voisin. Tant que Hynkel et Garbitsch pensent qu'Epstein va les aider (car le conseil d'administration est composé d'aryens blonds aux yeux bleus dit Hynkel dans un gros plan où Chaplin rappelle qu'il est brun aux yeux noirs), les Juifs du ghetto ont la paix. Mais cette paix est de courte durée et la milice revient maltraiter les habitants.

Le soldat de 1918 est rentré chez lui et a repris son ancienne activité : il est le barbier du ghetto. Il n'avait pas mis les pieds là depuis 20 ans. Comme écrit plus haut, il est amnésique mais ignore aussi tout de ce qui est arrivé en 20 ans. Ainsi quand les soldats de la milice viennent harceler les Juifs, il est le seul à se défendre. Presque le seul, il reçoit l'aide de Hannah (Paulette Goddard), sa voisine. Son métier, quand elle ne frappe pas avec sa poêle les soldats, est de faire des ménages. Accessoirement, elle tombe amoureuse du barbier.

Leur relation cherche à s'épanouir dans ce chaos en train de se créer. Deux magnifiques scènes se suivent et se répondent. La danse de Hynkel avec la mappe-monde qu'il fait rebondir sur son derrière avant qu'elle n'explose dans ses mains, métaphore simple et géniale du danger du dictateur suivie du rasage d'un client par le barbier au son de la 5ème danse hongroise de Brhams qui exprime sa joie d'être amoureux. Tout Le Dictateur pourrait être résumé dans ces deux séquences où Chaplin brille dans son double rôle.

Une autre relation a du mal à s'épanouir, celle entre Hynkel et Napaloni (Jack Oakie). J'admire cette scène de gare où Hynkel l'attend avec ce train de carton-pâte qui ne cesse de s'arrêter et redémarrer brusquement. Jack Oakie comme Chaplin avec son charabia allemand invente sa langue italienne. Il imite à la perfection les tics de Mussolini, ce regard menton haut censé être plein de virilité. Hynkel était déjà bien gratiné, leur duo atteint des sommets de narcissisme stupide. Les deux dictateurs se disputent le destin du monde en sa balançant leur plat national à la figure.


Napaloni rentré chez lui, il ne reste plus que la bataille des moustaches entre le barbier et le dictateur. Dans Charlot soldat, il rêvait qu'il triomphait du Kaiser avant de se réveiller et de retomber dans la triste réalité, dans Le Dictateur pour triompher de Hynkel, ce rêve prend la forme de ce discours final de cinq minutes. Le discours demeure fort et beau, il appelle les hommes à avoir « le pouvoir de créer le bonheur ». La définition à mon sens de l’œuvre de Chaplin, de ses films et de ses personnages. 


































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