Sans
les commentaires en voix off, Terre sans pain pourrait passer
pour un documentaire sur une contrée espagnole où le folklore tient
une place prépondérante dans la vie des gens. On découvre une
architecture, des tenues et des coutumes locales, certes bien typées
(ici une fête de jeunes mariés qui doivent arracher la tête d'un
coq avant d'offrir du vin à tout le village) mais qui ne devaient
pas offusquer outre mesure en 1932. Avec le commentaire, le film de
Luis Buñuel prend une tout autre tournure.
Dans
les trois premières minutes, on entend successivement « village
féodal », « mort », « aspect moyenâgeux »,
« fête étrange et barbare », « nous ne pouvons
nous empêcher de penser aux amulettes des peuples sauvages ».
Tout cela donc au sujet de ce village juste avant d'entrer dans la
région des Hurdes « 52 villages pour une population de 8000
habitants ». Quand Luis Buñuel et son équipe entrent dans le
premier hameau des Hurdes, il assure que l'ensemble a « conservé
des vestiges d'une vie préhistorique ».
Ces
vestiges ne vont pas cessé d'être décrits par le menu pendant les
quelques 30 minutes de Terre sans pain. Ces vestiges viennent de
l'ancien temps donc, la Monarchie espagnole tout juste abolie pour se
lancer dans l'aventure de la République. Mais quand le film sort, 5
ans après son tournage, la guerre civile fait rage et cet ancien
temps, moyenâgeux, préhistorique, barbare revient au galop, il est
temps de rappeler à son public qui l'a accueilli (la France) ce que
cet affreux Franco veut quand il causait d'Espagne éternelle.
En
voyant Terre sans pain, j'ai pensé aux courts documentaires
de Vittorio de Seta qui lui aussi filme des contrées peu
hospitalières (Sicile et Sardaigne), il en faisait découvrir le
mode de vie rude et peu enviable de ses habitants. J'ai aussi pensé
à Heureux comme Lazzaro, cette idée que le temps s'est
arrêté. Mais Luis Buñuel allait bien plus loin dans la description
d'une enfer sur terre avec ces images comme preuves de la vie
lamentable des ces enfants, car ce sont surtout le sort des enfants
qui constituent le reportage (le mot est dans le commentaire).
Famine
(ils trempent une tartine de pain dans un filet d'eau qui ruisselle à
travers les rochers), maladie (goitre, maigreur), consanguinité
(nanisme, débilité), misère (les enfants sont vendus pour
mendier), nulle trace de bonheur dans cette contrée où rien ne
pousse, tout est en pierre. Même les chèvres sont malheureuses. Des
années après, on apprenait que cette fameuse scène où une
biquette tombe du ravin était bidouillée, on découvrait un coup de
fusil sur la droite du plan. Quoi qu'il en soit, le film est un
modèle de mise en scène documentaire.
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