Inisfree.
La route d'Inisfree ? « Vous voyez cette route ? Ce
n'est pas la bonne. » « Vous cherchez à pécher la
truite ou le saumon ? » L'arrivée d'un train en gare de
Castletown est rarement suivie de la venue d'un Américain mais ce
jour-là Sean Thorton (John Wayne) débarque avec ses bagages. Cela
questionne le chef de gare, le contrôleur et les deux cheminots
ainsi qu'une femme du coin ne comprennent pas pourquoi ce grand
costaud veut venir à Inisfree, qui plus est sans avoir envie de
taquiner le poisson. Ils pensent qu'il s'est forcément trompé et
tentent de lui indiquer où il serait bien mieux qu'à Inifree.
La
scène d'ouverture de L'Homme tranquille annonce immédiatement
le ton comique du film, un ton joyeux dont ne se départira pas le
récit même dans ses moments les plus dramatiques. L'Homme
tranquille est une belle comédie du mariage entre un solide
Américaine, ancien boxeur revenu au pays natal dans cet Inisfree
qu'il n'a jamais connu et une belle rousse à moitié sauvage qu'il
découvre en train de garder les moutons. Le regard de Sean et de
Mary Kate Danaher (Maureen O'Hara) dans la campagne irlandaise et le
spectateur sait immédiatement que ces deux-là sont faits pour vivre
ensemble. Même les personnages le savent.
La
rigoureuse construction de L'Homme tranquille (un chapitre par
bobine de film, soit toutes les vingt minutes environ) commence avec
la voix off du prêtre du coin, le Père Peter Lonergan (Ward Bond).
Le tout premier chapitre de la gare de Castletown à Inisfree se fait
sur la calèche d'un sacré bon bougre, une sorte de lutin malicieux,
le dénommé Michaleen Oge Flynn (Barry Fitzgerald). La passion du
curé est la pèche à la ligne, celle de Flynn est la boisson
alcoolisée. Ce trajet permet de découvrir à peu près tous les
protagonistes mais surtout dresse la topographie du coin, ce sera
essentiel pour la dernière partie du film, summum du cinéma de John
Ford.
C'est
sous le regard conjoint de Flynn et du Père Lonergan que Thorton et
Mary Kate tombent amoureux l'un de l'autre. Mais les éléments ne
sont pas avec eux. Celui qui s'oppose à Mary Kate est le vent qui
dévoile ses longs cheveux roux, expression de son tempérament de
feu. Le vent souffle sur elle avec furie comme la pluie tombera sur
Sean le jour où il va demander en mariage Mary Kate à son grand
frère, le tonitruant Will Danaher (Victor McLaglen). Mais le frangin
refuse ces fiançailles pour une raison très simple : Sean a
racheté la maison de son enfance à la veuve Tillane (Mildred
Natwick).
A
vrai dire, Will danaher apparaît comme l'unique personnage du film à
ne pas avoir compris que sa sœur et Sean vont terminer ensemble,
doivent vivre tous les deux en couple. Cela emmène à l'un des plus
délicieux complot du cinéma, celui de la course de chevaux et des
chapeaux. Tout Inisfree, ou presque, manigance pour que Will Danaher
ne puisse pas s'opposer aux fiançailles, seul le curé a du mal avec
ce plan et ces petits mensonges. Ce grand balourd tombe dans le piège
car il voit surtout son propre intérêt. Cette petite manigance a
pour but de faire avancer l'inéluctable et aussi l'improbable
puisque cela concerne aussi la vie matrimoniale de Will Danaher.
Tout
semble rouler, les fiançailles vont enfin avoir lieu mais le grand
frère Danaher s'est rendu compte qu'il s'est fait rouler. Il refuse
de donner l'argent de la dot de Mary Kate. C'est un certain poids des
traditions irlandaises que décrit John Ford. Cela avait commencé
avec la parade pour faire la cour, sur la calèche de Flynn, des
moments volontairement ridicules pour Sean qui se voit opposer une
fin de non recevoir quand il veut accélérer sa séduction. « En
Amérique, ça va plus vite » dit Sean ce qui à quoi Flynn
rétorque avec dégoût que pour lui l'Amérique c'est la
prohibition, une abomination la prohibition.
J'évoquais
le trajet entre la gare et Inisfree plus haut, le film touche au
sublime avec ce double trajet effectué par nos deux tourtereaux.
C'est d'abord Sean qui fait le trajet seul après que Mary Kate l'a
laissé en plan. Pourtant cette journée devait bien se dérouler.
Sean venait d'offrir une voiture à un cheval à son épouse mais ils
se fâchent. Il rentre à pied (5 miles quand même), elle rentre en
calèche et s'arrête en bord de route pour discuter avec le curé,
le pauvre il est dérangé dans une partie de pèche, il a enfin
retrouvé la trace de ce saumon qu'il rêve d'attraper depuis 8
années. Mais le devoir l'appelle et ses ouilles surtout.
Le
deuxième trajet en fin de film est génial. Cette fois Mary Kate a
fui, elle veut filer en train à Dublin. Dans la gare on retrouve les
mêmes qu'en début de film. Sean vient récupérer sa femme, ils
vont faire les 5 miles main dans la main au son de la comptine Mitty
Matty had a hen, reprise ici en instrumental, le morceau va crescendo
au fur et à mesure que le village suit le couple. Une séquence sans
dialogue, du pur burlesque, de l'émotion enivrante, de l'amour
éperdu jusqu'à la réplique finale. Un film idéal pour commencer
l'année. Il faut maintenant espérer qu'il sera bientôt réédité
en vidéo parce que le DVD date de 1999 et qu'il ne rend pas du tout
justice au film.
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