Dès
les premiers plans se distille une climat salace, une atmosphère
poisseuse, dès que Joseph (Georges Geret) jette un œil furtif sur
les jambes et les bottines de Célestine (Jeanne Moreau). Un plan en
plongée qui désigne la femme de chambre comme un objet de désir
pour tous les hommes qu'elle va croiser dans cette maison bourgeoise
au milieu de la campagne. Joseph travaille là depuis 15 ans, il a
une bonne place, il est venu chercher la nouvelle employée à la
gare et la rudoie un peu. Mais il connaît la passion de son patron
pour les bottines et il sait que celles de Célestine vont affoler
cette passion. « Fais l'innocente, va » lui lance avec
dédain Joseph.
Après
la traversée du village aux rues bien vides (on remarque au passage
que les enseignes sont celles de 1964, peu importe que cela se passe
au début des années 1930, c'est un passage en force vers le passé),
la carriole arrive enfin dans la propriété et Célestine, dès
qu'elle descend du véhicule, est observée par M. Rabour (Jean
Ozenne), dissimulé derrière un arbre. Célestine a été embauchée
pour être la femme de chambre de ce vieil homme, le père de Madame
Monteil (Françoise Lugagne) et beau-père de son époux (Michel
Piccoli), passionné de chasse, pas seulement de lièvres mais
parfois aussi des bonnes. Qu'on ne s'y trompe pas, c'est Madame qui
porte la culotte dans la maisonnée et personne d'autre.
Des
bottines, le vieux en a dans son armoire, apparemment cachées de sa
fille, il ferme les portes quand elle s'approche de sa chambre.
Rabour aimerait que Célestine porte certaines paires de bottines
quand elle lui lira des livres. Mais Célestine est un prénom qui ne
lui convient pas, il souhaite l'appeler Marie, comme les femmes de
chambre que sa fille a engagé avant elle et qui n'ont jamais fait
l'affaire. Rabour fait lire des pages d'un livre de Huysmans
« l'écrivain décadent », probablement l'idole de notre
homme. Il interrompt rapidement pour lui demander la permission de
toucher son mollet, ce qu'elle accepte et elle reprend sa lecture
appliquée dont il se lasse vite.
Le
vieux a ses bottines, sa fille a ses bibelots. Le meilleur moyen de
Luis Buñuel pour traverser les décors de son récit est la visite
des pièces que Célestine devra astiquer ou pas. Des objets que
Madame juge précieux, un tapis sur lequel il faut se déchausser,
ici une lampe qui coûte cher. « Oui, madame », répond
immanquablement la femme de chambre mais elle n'en pense pas moi. Ce
matérialisme, Célestine va le mettre à l'épreuve pour dominer les
hommes et humilier sa patronne. Cette belle lampe anglaise, elle va
en casser le globe, sans réellement s'en préoccuper. Madame Monteil
voulait la réprimander, affirmant que c'était la lampe préférée
de son père, mais M. Rabour la contredit devant la bonne.
Célestine
répond ainsi des « Oui madame » ce qui ne va pas
l'empêcher de rapidement en faire qu'à sa tête comme si les rôles
maîtres employés s'inversaient. Elle rabroue sans ménagement M.
Monteil pour s'attirer les faveurs du voisin le jovial Mouger (Daniel
Ivernel) qui a pris l'habitude de jeter ses déchets dans le jardin
des Monteil. Mouger, qui se prétend Capitaine, est méprisé par les
Monteil parce qu'il vit avec sa bonne Rose (Gilberte Geniat), une
grosse bonne femme. Célestine sympathise avec elle mais la bonne
comprend vite le petit jeu de Célestine. Ce jeu consiste à faire
son nid avec celui qui pourra la libérer de sa position de femme de
chambre.
Le
vieux Rabour meurt et Monteil n'a pas d'argent, c'est celui de sa
femme. Ce dernière traite son époux comme un enfant, elle a surtout
peur qu'il engrosse encore une fois la bonne, comme le fait remarquer
sans élégance Rose. Monsieur Monteil finira par convaincre Marianne
(Muni), la naïve et manipulable femme de ménage de venir avec lui
dans la grange pour passer un peu de temps. Mais uniquement quand
Célestine aura finit de bien l'humilier, elle ne va jamais cesser de
lui parler comme s'il était un moins que rien. Michel Piccoli en
homme frustré et dépité est génial de pathétisme.
Il
ne reste donc en compétition plus que le Capitaine Mouger et Joseph.
Luis Buñuel commence son film avec Joseph en réglant ses comptes
avec ces moralistes qu'il déteste, il le poursuit avec l'hypocrisie
du curé (Jean-Claude Carrière, délicieux) qui ordonne à Mme.
Monteil la chasteté. Joseph est un personnage obscur et scabreux
mais il est celui qui annonce toujours ce qu'il prépare. Il milite
pour l'Action Française, il criera en fin de film lors de la
manifestation des cartels d'extrême droite « Vice Chiappe »,
le préfet qui interdit en 1930 L'Age
d'or. Luis Buñuel filmera la
fin de cette manifestation en images saccadées, comme le fera
l'année suivante Jean Eustache à la fin du Père
Noël a les yeux bleus.
Joseph
rêve de quitter les Monteil. Il a économisé pour s’établir à
Cherbourg et ouvrir un café. Il convainc Célestine de le suivre. Là
s'éclaire sa phrase « fais l'innocente, va », il semble
avoir reconnu en elle son alter ego féminin dès la première
rencontre. Voilà pourquoi il ne s'inquiète pas quand la petite
Claire meurt violée et assassinée, cette fillette solitaire et
timide vue en début de film. L'image de sa mort est d'une violente
beauté, celle d'escargots sur ses jambes, un plan parfaitement
composé dans un film qui s'avère le plus réaliste de sa deuxième
période française qui commençait alors, enfin débarrassé du
surréalisme de pacotille.
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