lundi 14 janvier 2019

Le Journal d'une femme de chambre (Luis Buñuel, 1964)

Dès les premiers plans se distille une climat salace, une atmosphère poisseuse, dès que Joseph (Georges Geret) jette un œil furtif sur les jambes et les bottines de Célestine (Jeanne Moreau). Un plan en plongée qui désigne la femme de chambre comme un objet de désir pour tous les hommes qu'elle va croiser dans cette maison bourgeoise au milieu de la campagne. Joseph travaille là depuis 15 ans, il a une bonne place, il est venu chercher la nouvelle employée à la gare et la rudoie un peu. Mais il connaît la passion de son patron pour les bottines et il sait que celles de Célestine vont affoler cette passion. « Fais l'innocente, va » lui lance avec dédain Joseph.

Après la traversée du village aux rues bien vides (on remarque au passage que les enseignes sont celles de 1964, peu importe que cela se passe au début des années 1930, c'est un passage en force vers le passé), la carriole arrive enfin dans la propriété et Célestine, dès qu'elle descend du véhicule, est observée par M. Rabour (Jean Ozenne), dissimulé derrière un arbre. Célestine a été embauchée pour être la femme de chambre de ce vieil homme, le père de Madame Monteil (Françoise Lugagne) et beau-père de son époux (Michel Piccoli), passionné de chasse, pas seulement de lièvres mais parfois aussi des bonnes. Qu'on ne s'y trompe pas, c'est Madame qui porte la culotte dans la maisonnée et personne d'autre.

Des bottines, le vieux en a dans son armoire, apparemment cachées de sa fille, il ferme les portes quand elle s'approche de sa chambre. Rabour aimerait que Célestine porte certaines paires de bottines quand elle lui lira des livres. Mais Célestine est un prénom qui ne lui convient pas, il souhaite l'appeler Marie, comme les femmes de chambre que sa fille a engagé avant elle et qui n'ont jamais fait l'affaire. Rabour fait lire des pages d'un livre de Huysmans « l'écrivain décadent », probablement l'idole de notre homme. Il interrompt rapidement pour lui demander la permission de toucher son mollet, ce qu'elle accepte et elle reprend sa lecture appliquée dont il se lasse vite.

Le vieux a ses bottines, sa fille a ses bibelots. Le meilleur moyen de Luis Buñuel pour traverser les décors de son récit est la visite des pièces que Célestine devra astiquer ou pas. Des objets que Madame juge précieux, un tapis sur lequel il faut se déchausser, ici une lampe qui coûte cher. « Oui, madame », répond immanquablement la femme de chambre mais elle n'en pense pas moi. Ce matérialisme, Célestine va le mettre à l'épreuve pour dominer les hommes et humilier sa patronne. Cette belle lampe anglaise, elle va en casser le globe, sans réellement s'en préoccuper. Madame Monteil voulait la réprimander, affirmant que c'était la lampe préférée de son père, mais M. Rabour la contredit devant la bonne.

Célestine répond ainsi des « Oui madame » ce qui ne va pas l'empêcher de rapidement en faire qu'à sa tête comme si les rôles maîtres employés s'inversaient. Elle rabroue sans ménagement M. Monteil pour s'attirer les faveurs du voisin le jovial Mouger (Daniel Ivernel) qui a pris l'habitude de jeter ses déchets dans le jardin des Monteil. Mouger, qui se prétend Capitaine, est méprisé par les Monteil parce qu'il vit avec sa bonne Rose (Gilberte Geniat), une grosse bonne femme. Célestine sympathise avec elle mais la bonne comprend vite le petit jeu de Célestine. Ce jeu consiste à faire son nid avec celui qui pourra la libérer de sa position de femme de chambre.

Le vieux Rabour meurt et Monteil n'a pas d'argent, c'est celui de sa femme. Ce dernière traite son époux comme un enfant, elle a surtout peur qu'il engrosse encore une fois la bonne, comme le fait remarquer sans élégance Rose. Monsieur Monteil finira par convaincre Marianne (Muni), la naïve et manipulable femme de ménage de venir avec lui dans la grange pour passer un peu de temps. Mais uniquement quand Célestine aura finit de bien l'humilier, elle ne va jamais cesser de lui parler comme s'il était un moins que rien. Michel Piccoli en homme frustré et dépité est génial de pathétisme.

Il ne reste donc en compétition plus que le Capitaine Mouger et Joseph. Luis Buñuel commence son film avec Joseph en réglant ses comptes avec ces moralistes qu'il déteste, il le poursuit avec l'hypocrisie du curé (Jean-Claude Carrière, délicieux) qui ordonne à Mme. Monteil la chasteté. Joseph est un personnage obscur et scabreux mais il est celui qui annonce toujours ce qu'il prépare. Il milite pour l'Action Française, il criera en fin de film lors de la manifestation des cartels d'extrême droite « Vice Chiappe », le préfet qui interdit en 1930 L'Age d'or. Luis Buñuel filmera la fin de cette manifestation en images saccadées, comme le fera l'année suivante Jean Eustache à la fin du Père Noël a les yeux bleus.


Joseph rêve de quitter les Monteil. Il a économisé pour s’établir à Cherbourg et ouvrir un café. Il convainc Célestine de le suivre. Là s'éclaire sa phrase « fais l'innocente, va », il semble avoir reconnu en elle son alter ego féminin dès la première rencontre. Voilà pourquoi il ne s'inquiète pas quand la petite Claire meurt violée et assassinée, cette fillette solitaire et timide vue en début de film. L'image de sa mort est d'une violente beauté, celle d'escargots sur ses jambes, un plan parfaitement composé dans un film qui s'avère le plus réaliste de sa deuxième période française qui commençait alors, enfin débarrassé du surréalisme de pacotille.




























Aucun commentaire: