Je
crois que Les Aventuriers de l'Arche perdue est l'un des films
que j'ai le plus vu dans ma vie, depuis 35 ans, bref depuis qu'il
passe à la télé (je ne l'ai pas découvert au cinéma
contrairement à La Dernière croisade). Le film passait en français,
bien-sûr, avec cette voix nasillarde que Francis Lax donnait à
Harrison Ford, histoire de le faire passer pour un semi-demeuré, ce
qui contredisait ce que l'on voyait à l'écran dans la salle de
classe d'Indiana Jones avec ces jeunes filles en pâmoison devant
lui. L'une des étudiantes de son cours d'archéologie avait écrit
sur ses paupières « Love You ».
Ce
cours il le donne, dans le milieu des années 1930, en costume
marron, nœud papillon et lunettes cerclées d'or. Petit sourire
timide devant cette classe de harpies prêtes à tout. L'ouverture
des Aventuriers de l'Arche perdue montre un tout autre Indiana
Jones, tenue quasi militaire, chapeau et fouet, mais surtout tout en
sueur, les yeux exorbités par la tâche qu'il est en train
d'accomplir. Qu'il soit poursuivi par des étudiantes ou qu'il chasse
des antiquités, Indiana Jones ne prend jamais de repos. C'est sur ce
rythme effréné que fonctionne le film.
En
1981, l'action prenait cependant son temps, la longue séquence
d'ouverture puis la première mission en Asie sont longues, elle
décrivent des personnages plus que des situations. La recherche de
la statuette dorée est sous le signe des aventures de Tintin (sans
Milou) entre Vol 714 pour Sidney (les longs couloirs dans ces grottes
mystérieuses ornées de statues) et Le Temple du soleil, Indiana
Jones débute ses tribulations en Amérique centrale. La statuette
appartient à une peuplade primitive qui défend son objet du culte.
L'une
des idées de Steven Spielberg est de patienter pour montrer le
visage de son héros, on découvre ses deux guides (dont Alfred
Molina très jeune), la forêt vierge, les flèches empoisonnées des
indigènes. Il faut quelques minutes pour croiser Indiana Jones en
entier, histoire de faire patienter et de ne pas confondre
l'archéologue avec Han Solo. C'est la panoplie qui est d'abord
montrée pour se familiariser avec ce personnage, le fouet, le
chapeau et la musique entraînante de John Williams, un air qui va
crescendo tel un hymne.
L'ennemi
n'est pas cette peuplade indienne, elle est manipulée par Belloq
(Paul Freeman), un chasseur de trésors, un Français hautain et
méprisable mais toujours très bien habillé, même dans la jungle.
On ne se refait pas. On se demande bien comment il fait pour ne pas
transpirer, ce sera l'apanage des crapules dans le film. On reconnaît
les méchants à leur sang froid, un sang de serpent, l'animal que
déteste par dessus tout Indiana Jones. Les héros positifs auxquels
on s'attache ont le sang chaud, leur caractère est impulsif.
Cette
dichotomie est poussée à son paroxysme lors du court séjour au fin
fonds du Népal. Indiana Jones doit aller chercher un médaillon
avant que les nazis s'en emparent. Là encore, Steven Spielberg prend
son temps pour présenter le tableau. Une auberge insalubre, des
poivrots attablés et une bataille d'eau de vie. De chaque côté de
la table, on soulève lentement un verre de liqueur, on l'enfile, on
pose le verre. Qui gagne ? Une jeune femme, elle est habillée
en garçon, pantalon et veste, le pendant féminin d'Indiana Jones.
C'est
que c'est deux-là se connaissent depuis des années. Il était le
meilleur élève de son père et elle était sa petite amie, mais
l'attrait des antiquités est plus fort que la bagatelle. Marion
(Karen Allen) possède ce médaillon mais n'est pas prête de le
donner à Indiana Jones. Quand son ombre apparaît sur le mur de
l'auberge, tel un personnage d'un film d'aventure de Michael Curtiz,
sa signature visuelle lorsqu'il travaillait pour la Warner, elle sait
que les ennuis vont commencer. C'est ainsi qu'enfin cette lutte
contre le Mal va commencer.
Le
Mal débarque aussi dans l'auberge. Il porte un chapeau comme Indiana
Jones, en revanche il revêt un costume bien repassé, c'est le signe
de sa malfaisance. L'ignoble nazi s'appelle Toht (Ronald Lacey), un
être visqueux et gluant comme un serpent. Forcément, Indiana Jones
va le détester. Je remarquais dans mon texte sur Qui veut la peau
de Roger Rabbit la ressemblance entre Toht (qui se prononce comme
Tod, la mort en allemand) et Doom le méchant incarné par
Christopher Lloyd. Tel est le hideux visage du Mal dans l'univers
spielbergien.
Leur
mort n'est pas si différente, la peau de leur visage fond de la même
manière, dans un mélange dégoulinant et peu ragoutant. Pas de
trempette chez Steven Spielberg, mais la colère divine, rien que ça,
car quand il s'attaque aux nazis, le cinéaste passe soit par
l'humiliation (1941) soit par la vengeance divine, ici et dans
La Dernière croisade. Face à un régiment, Indiana Jones est
aisé par Sallah (John Rhys-Davies), son ami égyptien qui l'aidera à
retrouver cette arche de l'alliance enfoui dans une sépulture de
pharaon.
C'est
avec Sallah que le film s'éloigne le plus possible à la fois du
film d'action basique (les gentils contre les méchants) et du film
biblique (on fait pas chier Dieu impunément). Sallah apporte le
supplément comique nécessaire pour faire passer les innombrables
incohérences du récit, le prêchi-prêcha intrinsèque au cinéma
de Spielberg et l'agacement devant le personnage de Marion dont
l'impulsivité me lasse quelques fois. Ceci étant, je continue de
regarder le film, pas plus tard que hier d'ailleurs.
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