Louis Lumière (Eric Rohmer, 1968)

En 1968, Eric Rohmer (dont une rétrospective démarre aujourd'hui à la Cinémathèque Française, courts, longs, documentaires et films pédagogiques comme ici) filmait Jean Renoir et Henri Langlois, chacun assis côté à côté dans un fauteuil mais qui n’apparaîtront jamais dans le même plan, c'est par un panoramique qu'on remarque leur position respective. Jamais les deux hommes ne tiennent une conversation ensemble (contrairement à ce qu'indique justement le résumé de la CF). En 1968, Henri Langlois était renvoyé par Malraux de son poste de directeur de cette même Cinémathèque, mais le film n'en parle pas, sans doute cela a-t-il été filmé avant son renvoi.

Le film est d'une grande simplicité de dispositif. Jean Renoir cause de Louis Lumière, son propos est interrompu, suivi et illustré d'un film produit par les frères Lumière (chaque fois le titre de la « prise de vues Lumière », comme on dit, est indiqué sur un carton). Jean Renoir, avec sa langue précieuse et distinguée, s'aventure dans des considérations lyriques sur sa propre mise en scène, sur sa vision du « cinématographe » comme il dit. Le cinéaste fait remarquer à son hôte qu'il est quasi contemporain de l'invention du cinéma en étant né en 1894. Eric Rohmer, hors champ, joue les candides pour faire causer le maestro sur la mise en scène, ce qui vaut quelques saillies parfois délirantes et cocasses.

Henri Langlois use de moins de poétique pour parler de la mise en scène des films Lumière, au contraire il se fait très prosaïque et dissèque l’œuvre, fait la part entre l'observation simple, en plan unique, de la vie de l'époque et la mise en scène de sujets divers (l'arroseur arrosé, les parties de pétanque, les bagarres). Le film fait suivre ces diverses compositions mises en scène où s'améliore le gag notamment de l'arroseur arrosé : ainsi dans le premier essai, les protagonistes sortent du cadre et reviennent, dans le deuxième, Lumière prend soin de les garder dans le même plan pour une meilleure efficacité. Le gag subit des variations, les protagonistes ne sont pas placés au même endroit pour, là encore, mieux voir et mieux montrer.

Ce que dit est Henri Langlois n'est pas seulement véridique mais c'est vérifié par les films qui suivent ses propos, là est l'immense force de ce film d'Eric Rohmer. Henri Langlois parle de l'oblique dans le cadre des films des opérateurs Lumière, de l'effet triangulaire des intervenants dans le cadre. Preuve à l'appui avec le passage des tramways devant Wall Street à New York. Plus impressionnante est cette composition de la prise de vues dans un champ. Tandis qu'un pays laboure son champ en passant de gauche à droite, en oblique, le spectateur découvre en arrière plan d'autres activités paysannes, tout est mis en scène donc tout paraît naturel. Ce film Louis Lumière est disponible en complément du DVD Lumière ! Le cinématographe édité en 2015.