Clint
Eastwood fait grogner son personnage de Walt Kowalski, il lui donne
un regard assassin qui met mal à l'aise quiconque ose le croise. En
regardant à nouveau Gran Torino, 10 ans après sa sortie et
quelques jours après La Mule, je ne peux pas m'empêcher de
penser que ce Walt est le personnage le plus antipathique incarné
par Clint Eastwood. Pendant 10 ans, c'était le dernier personnage
qu'il ait joué, et on avait aimé cet homme bourru, raciste sur les
bords et volontiers patriotique, cet ancien de Corée, ce catholique
athée qui n'allait à l'église que parce que sa femme l'obligeait.
En
fin de film (tant pis pour ceux qui ne connaissent pas la fin de
Grand Torino), Walt mourait sous les balles de petites frappes, tout
se terminait pas un enterrement, la lecture du testament du défunt
et un long plan fixe où la Ford Grand Torino 1972 conduite par Thao
(Bee Vang) le protégé de Walt roulait au bord d'un lac ensoleillé
sur une chanson lente et lancinante composée par Clint et son fils
Kyle. Presque une image pieuse. Laisser mourir son personnage était
logique et aucun fan de Clint n'imaginait que ce serait sa dernière
apparition au cinéma, jusqu'à Earl Stone ce papy indigne mais plus
jovial que Walt.
La
constance quasi masochiste qu'a Clint Eastwood à s'offrir des
personnages de connard fini laisse chaque fois pantois. Walt est un
exemple patenté de père intransigeant. Ses deux fils sont des
adultes, des pères de famille, mais il les traite comme des gamins
et pire comme des renégats parce que l'un vend des voitures
japonaises. Walt lui a travaillé toute sa vie pour Ford, la marque
américaine par excellence. Il ne lui reste que son chien, un gentil
toutou, sa vieille maison où il se met à la terrasse pour s'enfiler
des bières et manger du bœuf séché. Il envoie paître son fils et
sa belle-fille quand ils veulent le mettre en maison de retraite.
Dans
La Mule, il convoquait sa fille Alison qui joue la fille de
Eart Stone. Dans une courte scène de Gran Torino, la jeune
voisine Sue (Ahney Her) se promène avec un jeune gars dans un
quartier où les terrains vagues abondent. Ils se font alpaguer par
trois gars qui les malmène. Le jeune gars tente vainement de
s'interposer, en reprenant le langage des trois autres. Walt arrive
dans sa camionnette, intervient puis traite le blanc-bac de « pussy »
mauviette. Or ce jeune blondin est joué par Scott Eastwood, le fils
de Clint, il débutait au cinéma et prenait alors son nom de
naissance Scott Reeves. Ça doit faire quelque chose de se faire
traiter de pussy par son père au cinéma.
Walt
est un vieux grigou qui ne comprend que ceux qui parlent la même
langue que lui, comme son coiffeur barbier (John Carroll Lynch). Ils
ont établi une conversation sarcastique faite d'insultes mais ils
sont sur la même longueur d'ondes. Le jeune curé (Christopher
Carley) pige rien. Il croit bien faire en l'appelant par son prénom,
mais Walt répond immanquablement que le curé doit lui donner du
« Monsieur Kowalski). La beauté du film est dans ce mouvement
de balancier qui fait se rapprocher inéluctablement ceux qui se
regardaient quelques jours plus tôt en chiens de faïences, mais
surtout le petit curé gagne la confiance de Walt quand il s'y attend
le moins.
C'est
précisément le cas avec Thao et Sue. Pour le jeune homme de la
communauté Hmong installée dans le voisinage de Walt, Thao est un
moins que rien et Walt prend un plaisir non feint de toujours se
tromper dans son prénom. Pour Sue, la grand sœur de Thao, les
rapports sont immédiatement chaleureux, c'est elle qui surnomme Walt
Wally, ce qui a le don de l'énerver. Dans tout le film, ces noms
trouvés, échangés, rapportés, rapiécés auront leur importance
dans la mise en scène des rapports, dans l'évolution des échanges
entre Walt et ceux qui l'entourent. L'acclimatation entre les Hmongs
et Walt est du même ordre qu'entre les Mexicains et Earl dans La
Mule.
C'est
tout de même étonnant, pour ne pas dire contradictoire, d'avoir une
bagnole rutilante et de se priver de course poursuite, de la laisser
dans son garage, à la limite de la sortir sur le chemin à côté de
la maison. La Gran Torino c'est la voiture de Starsky et Hutch, les
flics les plus populaires de la télé américaine des années 1970.
Mais je vois plutôt la voiture comme une représentation du cinéma
de Clint Eastwood, le cinéaste a mis en scène son premier film Play
Misty for me en 1971, la Gran Torino date de 1972, 37 ans de
cinéma où Clint Eastwood prend soin de bien entretenir sa légende
d'homme rugueux au cœur tendre.
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