mardi 29 janvier 2019

Gran Torino (Clint Eastwood, 2008)

Clint Eastwood fait grogner son personnage de Walt Kowalski, il lui donne un regard assassin qui met mal à l'aise quiconque ose le croise. En regardant à nouveau Gran Torino, 10 ans après sa sortie et quelques jours après La Mule, je ne peux pas m'empêcher de penser que ce Walt est le personnage le plus antipathique incarné par Clint Eastwood. Pendant 10 ans, c'était le dernier personnage qu'il ait joué, et on avait aimé cet homme bourru, raciste sur les bords et volontiers patriotique, cet ancien de Corée, ce catholique athée qui n'allait à l'église que parce que sa femme l'obligeait.

En fin de film (tant pis pour ceux qui ne connaissent pas la fin de Grand Torino), Walt mourait sous les balles de petites frappes, tout se terminait pas un enterrement, la lecture du testament du défunt et un long plan fixe où la Ford Grand Torino 1972 conduite par Thao (Bee Vang) le protégé de Walt roulait au bord d'un lac ensoleillé sur une chanson lente et lancinante composée par Clint et son fils Kyle. Presque une image pieuse. Laisser mourir son personnage était logique et aucun fan de Clint n'imaginait que ce serait sa dernière apparition au cinéma, jusqu'à Earl Stone ce papy indigne mais plus jovial que Walt.

La constance quasi masochiste qu'a Clint Eastwood à s'offrir des personnages de connard fini laisse chaque fois pantois. Walt est un exemple patenté de père intransigeant. Ses deux fils sont des adultes, des pères de famille, mais il les traite comme des gamins et pire comme des renégats parce que l'un vend des voitures japonaises. Walt lui a travaillé toute sa vie pour Ford, la marque américaine par excellence. Il ne lui reste que son chien, un gentil toutou, sa vieille maison où il se met à la terrasse pour s'enfiler des bières et manger du bœuf séché. Il envoie paître son fils et sa belle-fille quand ils veulent le mettre en maison de retraite.

Dans La Mule, il convoquait sa fille Alison qui joue la fille de Eart Stone. Dans une courte scène de Gran Torino, la jeune voisine Sue (Ahney Her) se promène avec un jeune gars dans un quartier où les terrains vagues abondent. Ils se font alpaguer par trois gars qui les malmène. Le jeune gars tente vainement de s'interposer, en reprenant le langage des trois autres. Walt arrive dans sa camionnette, intervient puis traite le blanc-bac de « pussy » mauviette. Or ce jeune blondin est joué par Scott Eastwood, le fils de Clint, il débutait au cinéma et prenait alors son nom de naissance Scott Reeves. Ça doit faire quelque chose de se faire traiter de pussy par son père au cinéma.

Walt est un vieux grigou qui ne comprend que ceux qui parlent la même langue que lui, comme son coiffeur barbier (John Carroll Lynch). Ils ont établi une conversation sarcastique faite d'insultes mais ils sont sur la même longueur d'ondes. Le jeune curé (Christopher Carley) pige rien. Il croit bien faire en l'appelant par son prénom, mais Walt répond immanquablement que le curé doit lui donner du « Monsieur Kowalski). La beauté du film est dans ce mouvement de balancier qui fait se rapprocher inéluctablement ceux qui se regardaient quelques jours plus tôt en chiens de faïences, mais surtout le petit curé gagne la confiance de Walt quand il s'y attend le moins.

C'est précisément le cas avec Thao et Sue. Pour le jeune homme de la communauté Hmong installée dans le voisinage de Walt, Thao est un moins que rien et Walt prend un plaisir non feint de toujours se tromper dans son prénom. Pour Sue, la grand sœur de Thao, les rapports sont immédiatement chaleureux, c'est elle qui surnomme Walt Wally, ce qui a le don de l'énerver. Dans tout le film, ces noms trouvés, échangés, rapportés, rapiécés auront leur importance dans la mise en scène des rapports, dans l'évolution des échanges entre Walt et ceux qui l'entourent. L'acclimatation entre les Hmongs et Walt est du même ordre qu'entre les Mexicains et Earl dans La Mule.


C'est tout de même étonnant, pour ne pas dire contradictoire, d'avoir une bagnole rutilante et de se priver de course poursuite, de la laisser dans son garage, à la limite de la sortir sur le chemin à côté de la maison. La Gran Torino c'est la voiture de Starsky et Hutch, les flics les plus populaires de la télé américaine des années 1970. Mais je vois plutôt la voiture comme une représentation du cinéma de Clint Eastwood, le cinéaste a mis en scène son premier film Play Misty for me en 1971, la Gran Torino date de 1972, 37 ans de cinéma où Clint Eastwood prend soin de bien entretenir sa légende d'homme rugueux au cœur tendre.






















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