jeudi 17 janvier 2019

Le Journal d'une femme de chambre (Jean Renoir, 1945)

J'ai beau avoir découvert l'adaptation de Jean Renoir quelques années après celle de Luis Buñuel, j'ai toujours eu l'impression que le plus ancien est le remake de l'autre. Sans vouloir exagérer, Le Journal d'une femme de chambre version Paulette Goddard dans le rôle de Célestine est le Renoir le moins aimé de tous ses films mais aussi le moins connu de ses films américains, le seul pour l'instant à n'avoir pas été édité en vidéo. Je ne l'avais pas vu depuis des années et j'en gardais un très bon souvenir. Pour tout dire, j'aime toutes les versions du Journal d'une femme de chambre. Un petit jeu des 7 différences peut se lancer.

Chose absente chez Luis Buñuel, Célestine tient un journal, Jean Renoir ouvre avec son film et la main en train d'écrire. En anglais. Quand le film sortit en France en 1948, la critique de l'époque se rappelait que Jean Renoir rêvait d'adapter le roman d'Octave Mirbeau depuis ses débuts. D'ailleurs, le personnage que jouait le cinéaste dans La Règle du jeu se prénommait Octave. Mais il semblait incompréhensible d'adapter le roman en anglais et de tourner en décors hollywoodiens (pur style carton-pâte). André Bazin détestait le film (un de ses articles est repris dans Premier plan N°22, mai 1962).

Malgré un début coriace où Joseph (Francis Lederer), l'homme à tout faire, vient chercher Célestine ainsi que Marianne la petite bonne timide à la gare, avec un air sérieux comme s'il était le maître, le film engage toute sa première partie sur le ton de la comédie légère. La musique guillerette du film participe de cet esprit joyeux. Les péripéties sont dignes d'une comédie de boulevard. Dans une scène Célestine prend son patron, Monsieur Lanlaire (Reginald Owen) pour un employé. Ils discutent joyeusement ensemble jusque ce que Madame Lanlaire (Judith Anderson) n'interrompe ce charmant attelage.

La comédie se poursuit avec le voisin, le Capitaine Mouger (Burgess Meredith). Il débarque comme un beau diable dans le jardin de ses voisins, il sautille tel un joyeux lutin et se met à manger des pétales de rose. Célestine n'en croit pas ses yeux, elle trouve très amusante ces excentricités. Mouger explique son étrange repas, il se considère « libéral » (on entend se mot en anglais) soit un progressiste et voit les Lanlaire comme d'arrogants réactionnaires. Les Lanlaire refusent obstinément de fêter le 14 juillet, c'est au contraire pour eux un jour de deuil et sûrement un jour de célébration, ils sont anti-républicains explique le Capitaine.

Le vieux monde dans lequel vit les Lanlaire est symbolisé par un trousseau de clés qui ouvre la porte de la cave et dans cette cave, comme le montre Joseph à Célestine, se trouve un trésor, toute l'argenterie et les chandeliers et d'autres belles choses brillantes. Célestine n'a jamais vu rien de tel, elle est encore plus estomaqué par cela que par le repas de roses du voisin. Joseph est le seul, avec sa patronne, a posséder ce trousseau de clés. Il a trimé pour acquérir de Madame cette confiance et tout va s'écrouler avec les manigances de la nouvelle femme de chambre. Petit à petit le film déleste son ton comique pour s'enfoncer dans le drame.

Chez Luis Buñuel Célestine devait s'occuper du vieux, chez Jean Renoir elle semble avoir été embauchée pour veiller sur le fils Lanlaire. Georges (Hurd Hartfield) est le grand absent de la première partie du film. Là aussi c'est une porte close, celle de sa chambre, qui symbolise son absence. Cela intrigue la femme de chambre de ne pas pouvoir rentrer dans cette chambre. Quand Georges arrive enfin dans la maison, il n'est pas vraiment le fils prodigue, plutôt le bâton malade de la famille, il reste alité dans sa chambre. C'est l'arrivée de Célestine qui le fait se lever et lui redonne goût à la vie. Un miracle de l'amour.


Voilà l'employée au milieu de trois hommes qui ne rêvent que de finir leur vie avec elle. Une guerre féroce se déclare entre Joseph, Georges et le Capitaine Mauger et tout a lieu le 14 juillet. Célestine et sa collègue Marianne ont le droit d'assister à la fête qui tourne au règlement de comptes. Jean Renoir accélère cet épilogue avec une bagarre au fouet au milieu d'une foule déchaînée. Le mouvement circulaire des fêtards est interrompu par le parcours rectiligne de la calèche de Joseph qui vient de voler tout le trésor de ses maîtres. Tout va se terminer mal et le happy end n'est qu'une pure convention si on en croit les visages fermés et épuisés de Georges et Célestine dans le train qui les emmène loin de ce tumulte. 























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