J'ai
beau avoir découvert l'adaptation de Jean Renoir quelques années
après celle de Luis Buñuel, j'ai toujours eu l'impression que le
plus ancien est le remake de l'autre. Sans vouloir exagérer, Le
Journal d'une femme de chambre version Paulette Goddard dans le
rôle de Célestine est le Renoir le moins aimé de tous ses films
mais aussi le moins connu de ses films américains, le seul pour
l'instant à n'avoir pas été édité en vidéo. Je ne l'avais pas
vu depuis des années et j'en gardais un très bon souvenir. Pour
tout dire, j'aime toutes les versions du Journal d'une femme de
chambre. Un petit jeu des 7 différences peut se lancer.
Chose
absente chez Luis Buñuel, Célestine tient un journal, Jean Renoir
ouvre avec son film et la main en train d'écrire. En anglais. Quand
le film sortit en France en 1948, la critique de l'époque se
rappelait que Jean Renoir rêvait d'adapter le roman d'Octave Mirbeau
depuis ses débuts. D'ailleurs, le personnage que jouait le cinéaste
dans La Règle du jeu se prénommait Octave. Mais il semblait
incompréhensible d'adapter le roman en anglais et de tourner en
décors hollywoodiens (pur style carton-pâte). André Bazin
détestait le film (un de ses articles est repris dans Premier plan
N°22, mai 1962).
Malgré
un début coriace où Joseph (Francis Lederer), l'homme à tout
faire, vient chercher Célestine ainsi que Marianne la petite bonne
timide à la gare, avec un air sérieux comme s'il était le maître,
le film engage toute sa première partie sur le ton de la comédie
légère. La musique guillerette du film participe de cet esprit
joyeux. Les péripéties sont dignes d'une comédie de boulevard.
Dans une scène Célestine prend son patron, Monsieur Lanlaire
(Reginald Owen) pour un employé. Ils discutent joyeusement ensemble
jusque ce que Madame Lanlaire (Judith Anderson) n'interrompe ce
charmant attelage.
La
comédie se poursuit avec le voisin, le Capitaine Mouger (Burgess
Meredith). Il débarque comme un beau diable dans le jardin de ses
voisins, il sautille tel un joyeux lutin et se met à manger des
pétales de rose. Célestine n'en croit pas ses yeux, elle trouve
très amusante ces excentricités. Mouger explique son étrange
repas, il se considère « libéral » (on entend se mot en
anglais) soit un progressiste et voit les Lanlaire comme d'arrogants
réactionnaires. Les Lanlaire refusent obstinément de fêter le 14
juillet, c'est au contraire pour eux un jour de deuil et sûrement un
jour de célébration, ils sont anti-républicains explique le
Capitaine.
Le
vieux monde dans lequel vit les Lanlaire est symbolisé par un
trousseau de clés qui ouvre la porte de la cave et dans cette cave,
comme le montre Joseph à Célestine, se trouve un trésor, toute
l'argenterie et les chandeliers et d'autres belles choses brillantes.
Célestine n'a jamais vu rien de tel, elle est encore plus estomaqué
par cela que par le repas de roses du voisin. Joseph est le seul,
avec sa patronne, a posséder ce trousseau de clés. Il a trimé pour
acquérir de Madame cette confiance et tout va s'écrouler avec les
manigances de la nouvelle femme de chambre. Petit à petit le film
déleste son ton comique pour s'enfoncer dans le drame.
Chez
Luis Buñuel Célestine devait s'occuper du vieux, chez Jean Renoir
elle semble avoir été embauchée pour veiller sur le fils Lanlaire.
Georges (Hurd Hartfield) est le grand absent de la première partie
du film. Là aussi c'est une porte close, celle de sa chambre, qui
symbolise son absence. Cela intrigue la femme de chambre de ne pas
pouvoir rentrer dans cette chambre. Quand Georges arrive enfin dans
la maison, il n'est pas vraiment le fils prodigue, plutôt le bâton
malade de la famille, il reste alité dans sa chambre. C'est
l'arrivée de Célestine qui le fait se lever et lui redonne goût à
la vie. Un miracle de l'amour.
Voilà
l'employée au milieu de trois hommes qui ne rêvent que de finir
leur vie avec elle. Une guerre féroce se déclare entre Joseph,
Georges et le Capitaine Mauger et tout a lieu le 14 juillet.
Célestine et sa collègue Marianne ont le droit d'assister à la
fête qui tourne au règlement de comptes. Jean Renoir accélère cet
épilogue avec une bagarre au fouet au milieu d'une foule déchaînée.
Le mouvement circulaire des fêtards est interrompu par le parcours
rectiligne de la calèche de Joseph qui vient de voler tout le trésor
de ses maîtres. Tout va se terminer mal et le happy end n'est qu'une
pure convention si on en croit les visages fermés et épuisés de
Georges et Célestine dans le train qui les emmène loin de ce
tumulte.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire