Quel
dommage que les intertitres et les cartons des films allemands
d'Ernst Lubitsch n'aient pas survécu car dans le cas de La
Chatte des montagnes, ils
avaient peut-être été conçus avec le même raffinement que
l'image. Ce qui frappe, étonne puis enchante dès les premières
scènes dans ce fort « près de Piffkaneiro » ce sont les
caches placés devant la caméra et qui découpent le cadre. Dans ses
films précédents, Ernst Lubitsch se contentait, comme ses
confrères, d'un recadrage à l'iris qui donne ce rond permettant une
sorte de gros plan ou d'insert.
Dans
La Chatte des montagnes,
il passe à la vitesse supérieure et reformate de nombreux plans,
carré, rond, rectangle vertical ou horizontale, trapèze, oblique
découpent ce que le spectateur voit. L'effet est fulgurant et donne
un effet comique irrésistible accentué par l'action, soit le réveil
de soldats de la garnison. Un réveil difficile, les soldats n'ont
aucune envie d'aller patrouiller, mais le commandant (Victor Janson)
est là pour les surveiller et les forcer à aller se laver. A peine
leur supérieur hiérarchique a le dos tourné que les soldats
retournent dans leur pieu.
Les
caches étaient jusque là en formes rectilignes, la forme masculine,
pour encadrer Lilli (Edith Meller) la fille du commandant, les caches
sont plus harmonieux, ils composent des rosaces, des courbes, forme
féminine. Pourtant, la fille du capitaine, tout comme son épouse ne
sont pas franchement gâtées par le scénario. Il est vite évident
que ce sont des pestes, des femmes pédantes. La fille est
capricieuse et exige d'épouser le lieutenant Alexis (Paul Eidemann)
qui doit venir dans cette caserne, ce qui n'est pas du goût du père.
La
réputation d'Alexis le précède. Ses adieux à son ancienne
garnison donnent l'une des séquences les plus délirantes du cinéma
d'Ernst Lubitsch. Sur la place de la garnison, des centaines de
femmes sont éplorées. Elles tentent, en vain, de retenir le
bourreau des cœurs, mais le mieux, ce sont ces enfants qui remuent
leur petit mouchoir, laissant entendre qu'Alexis a beaucoup fécondé
ici ou là. C'est dans cette exagération de la guerre des sexes que
le comique prend corps, enfin ici il faut plutôt parler de paix des
sexes.
Alexis
a du chemin à faire entre ces deux postes et doit traverser la
montagne. La rencontre avec une bande de brigands vivant au milieu de
la neige prend une tournure inattendue. Comme il montrait le réveil
des soldats dans la garnison, Ernst Lubitsch rend compte de celui des
brigands. C'est Richka (Pola Negri), la fille du chef, qui les
réveille avec un petit coup de fouet et les bougres aiment ça. Ils
prennent la file d'attente, les coquins, car tous aimeraient bien se
faire cajoler. Pourtant, elle a bien mauvais caractère.
Elle
n'est pas du genre à se laisser faire, dans ce monde tout blanc,
recouvert de neige, elle semble avoir le cœur gelé. Le matin, elle
se lave en se renversant un seau de neige par exemple, mais quand
Alexis passe par là, elle commence à faire battre son cœur, enfin.
Certes, elle malmène le Don Juan, elle lui vole son grand uniforme
et le laisse là en plan, mais une fois qu'il est parti poursuivre
son chemin, elle ne cesse de penser à lui. Puisqu'il se rend,
toujours en gardant son petit sourire idiot, à la caserne, elle
aussi ira là-bas.
Tout
ce raffinement permet de faire passer les personnages mal dégrossis
et pour tout dire archétypaux du vaudeville et du comique allemand
des années 1920, ce que l'on appelle le Groteske. Les décors du
hameau de tentes de la montagne sont réduits à leur plus simples
expression (des amas de toiles) et correspondent à l'esprit primaire
et brutal de Rischka. Mais dès qu'elle pénètre dans la garnison où
tout est en joliesse, en courbes harmonieuses, en meubles et pièces
gigantesques, la jeune femme change du tout au tout.
Elle
a honte de se voir transformée ainsi, de s'épanouir dans les
dentelles qu'elle se met soudain à porter à la place de ses
haillons. Elle comprend qu'elle peut séduire Alexis bien plus
facilement que Lilli, d'autant que le caractère de cette dernière
est pire que celui de Rischka. L'un des gars montagnards regrette
l'emprise d'Alexis sur sa maîtresse dont il est amoureux. Commencé
dans l'excitation et l'égoïsme général, en fin de film tout le
monde se met à sourire et à penser au bonheur des autres, voilà le
plus grand raffinement.
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