dimanche 20 janvier 2019

La Chatte des montagnes (Ernst Lubitsch, 1921)

Quel dommage que les intertitres et les cartons des films allemands d'Ernst Lubitsch n'aient pas survécu car dans le cas de La Chatte des montagnes, ils avaient peut-être été conçus avec le même raffinement que l'image. Ce qui frappe, étonne puis enchante dès les premières scènes dans ce fort « près de Piffkaneiro » ce sont les caches placés devant la caméra et qui découpent le cadre. Dans ses films précédents, Ernst Lubitsch se contentait, comme ses confrères, d'un recadrage à l'iris qui donne ce rond permettant une sorte de gros plan ou d'insert.

Dans La Chatte des montagnes, il passe à la vitesse supérieure et reformate de nombreux plans, carré, rond, rectangle vertical ou horizontale, trapèze, oblique découpent ce que le spectateur voit. L'effet est fulgurant et donne un effet comique irrésistible accentué par l'action, soit le réveil de soldats de la garnison. Un réveil difficile, les soldats n'ont aucune envie d'aller patrouiller, mais le commandant (Victor Janson) est là pour les surveiller et les forcer à aller se laver. A peine leur supérieur hiérarchique a le dos tourné que les soldats retournent dans leur pieu.

Les caches étaient jusque là en formes rectilignes, la forme masculine, pour encadrer Lilli (Edith Meller) la fille du commandant, les caches sont plus harmonieux, ils composent des rosaces, des courbes, forme féminine. Pourtant, la fille du capitaine, tout comme son épouse ne sont pas franchement gâtées par le scénario. Il est vite évident que ce sont des pestes, des femmes pédantes. La fille est capricieuse et exige d'épouser le lieutenant Alexis (Paul Eidemann) qui doit venir dans cette caserne, ce qui n'est pas du goût du père.

La réputation d'Alexis le précède. Ses adieux à son ancienne garnison donnent l'une des séquences les plus délirantes du cinéma d'Ernst Lubitsch. Sur la place de la garnison, des centaines de femmes sont éplorées. Elles tentent, en vain, de retenir le bourreau des cœurs, mais le mieux, ce sont ces enfants qui remuent leur petit mouchoir, laissant entendre qu'Alexis a beaucoup fécondé ici ou là. C'est dans cette exagération de la guerre des sexes que le comique prend corps, enfin ici il faut plutôt parler de paix des sexes.

Alexis a du chemin à faire entre ces deux postes et doit traverser la montagne. La rencontre avec une bande de brigands vivant au milieu de la neige prend une tournure inattendue. Comme il montrait le réveil des soldats dans la garnison, Ernst Lubitsch rend compte de celui des brigands. C'est Richka (Pola Negri), la fille du chef, qui les réveille avec un petit coup de fouet et les bougres aiment ça. Ils prennent la file d'attente, les coquins, car tous aimeraient bien se faire cajoler. Pourtant, elle a bien mauvais caractère.

Elle n'est pas du genre à se laisser faire, dans ce monde tout blanc, recouvert de neige, elle semble avoir le cœur gelé. Le matin, elle se lave en se renversant un seau de neige par exemple, mais quand Alexis passe par là, elle commence à faire battre son cœur, enfin. Certes, elle malmène le Don Juan, elle lui vole son grand uniforme et le laisse là en plan, mais une fois qu'il est parti poursuivre son chemin, elle ne cesse de penser à lui. Puisqu'il se rend, toujours en gardant son petit sourire idiot, à la caserne, elle aussi ira là-bas.

Tout ce raffinement permet de faire passer les personnages mal dégrossis et pour tout dire archétypaux du vaudeville et du comique allemand des années 1920, ce que l'on appelle le Groteske. Les décors du hameau de tentes de la montagne sont réduits à leur plus simples expression (des amas de toiles) et correspondent à l'esprit primaire et brutal de Rischka. Mais dès qu'elle pénètre dans la garnison où tout est en joliesse, en courbes harmonieuses, en meubles et pièces gigantesques, la jeune femme change du tout au tout.


Elle a honte de se voir transformée ainsi, de s'épanouir dans les dentelles qu'elle se met soudain à porter à la place de ses haillons. Elle comprend qu'elle peut séduire Alexis bien plus facilement que Lilli, d'autant que le caractère de cette dernière est pire que celui de Rischka. L'un des gars montagnards regrette l'emprise d'Alexis sur sa maîtresse dont il est amoureux. Commencé dans l'excitation et l'égoïsme général, en fin de film tout le monde se met à sourire et à penser au bonheur des autres, voilà le plus grand raffinement.








































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