L'odorat
est l'un des sens les plus difficiles à filmer au cinéma – et ce
n'est pas John Waters et Polyester qui vont démentir – cela passe
par un élément visuel de dégoût (quand l'odeur est mauvaise) et
de plan rapproché (du nez qui s'active). Tina (Eva Melander)
travaille aux douanes suédoises et les premiers plans font découvrir
son visage ingrat, la peau boursouflée, les yeux rapprochés, les
cheveux rêches. L'odorat est aussi une astuce scénaristique pour
montrer ce visage hors du commun, rugueux totalement hors des canons
que l'on se fait d'une femme suédoise.
Tina
décèle, grâce à son nez qu'elle remonte légèrement, montrant
ses dents, ceux qui triche aux douanes. Un ado qui transporte de
l'alcool est le premier cas pour montrer comment fonctionne Tina, on
se rend compte qu'on est vraiment dans un film suédois, pas du tout
à Hollywood, le calme et la délicatesse avant tout. Mais le
deuxième cas est un col blanc, un type bien propre sur lui
(l'inverse de Tina). Dans son portable, elle décèle des vidéos
porno impliquant des bébés. Voilà Border lancé sur une enquête
et un polar poisseux.
Cette
enquête policière occupera tout le récit du film, mais avec une
certaine nonchalance, sans avoir l'air de trop s'y pencher alors que
les éléments prennent régulièrement une tournure atroce. Comme
dans tout film délicat, rien n'est montré, pas même suggéré.
Cette enquête, elle commence dans un « appartement Ikéa »
où seraient tournés ces scènes de pédopornographie. La manière
qu'a Tina de prononcer ces mots en dit beaucoup de son mépris pour
ces gens à l'apparence normale mais qui cache une pourriture
ineffable.
Tina
n'habite sûrement pas dans ce genre de logement, elle réside dans
un chalet au milieu de la forêt, elle vit avec un drôle de type,
Roland (Jörgen Thorsson) qui semble inactif sauf lorsqu'il s'agit de
s'occuper de ses deux clébards. Tina a encore son père (Sten
Ljunggren), un type qui perd un peu la mémoire et qui vit dans un
hospice. Elle va lui rendre souvent visite et ce père lui pose des
questions embarrassantes sur son intimité avec Roland. Il regrette
que sa fille soit stérile, il déplore qu'elle ne vive pas
pleinement sa vie de femme.
Les
deux molosses de Roland aboient dès que Tina pointe le bout de son
nez au retour du boulot ou quand elle part en promenade, toujours
pieds nus dans cette forêt de lichen et de mousse. Tina rencontre un
renard, un élan, des chevreuils, chaque fois, elle les entend et les
sent. Les animaux de la forêt constituent un élément essentiel de
Border, ils placent le film dans une forme d'esprit païen et
mythologique revigorant mais pour l'instant Tina, comme le
spectateur, ne peut pas comprendre ce qui attire ces animaux vers
elle.
Il
faut pour cela l'arrivée de Vore (Eero Milenoff) devant le poste de
douanes, devant les yeux et le nez de Tina. Elle sent chez lui
quelque chose. Vore possède la même ingratitude corporelle et
faciale. Tina ne comprend pas ce qu'elle a senti chez Vore mais elle
va le découvrir quand elle le revoit, d'abord dans l'auberge de
jeunesse puis à nouveau aux douanes. Il va s'installer dans la
chambre d'hôte à côté de son chalet, au grand dam de Roland qui
voit un rival pour son lit gratos en celui qu'elle nomme un vieil
ami.
Et
cette enquête alors ? Elle prend une tournure terrifiante avec
l'arrivée de nouveaux éléments, terrifiant est le mot puisque le
film tourne vers le fantastique horrifique après avoir exploité le
fantastique domestique. L'horreur ce n'est pas le visage et le corps
de Tina et Vore mais ce qui se trame autour d'eux, l'horreur de
l'histoire de la Suède des années 1970 et de son eugénisme
institutionnel, l'horreur de la vengeance qui disséminent lentement
mais sûrement un malaise tenace qui doit plus à James Whale qu'à
James Wan.
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