« Ce
film retrace mon enfance, certains souvenirs de mon père »,
dit Hou Hsiao-hsien en voix off au tout début de Un temps pour
vivre un temps pour mourir, film autobiographique qui embrasse
une histoire de Taïwan, du milieu des années 1950 à la fin des
années 1960. Il est né en Chine continentale, dans la région de
Canton, ses parents sont arrivés à Taïwan en 1947, 40 jours après
sa naissance. Ils ne pensaient pas rester toute leur vie sur l'île,
mais la scission entre Mao Tsé-toung et Tchang Kaï-chek en a décidé
autrement. Ils vivent dans une petite maison du sud de Taïwan, le
père, la mère, la sœur et les trois frères. Sans oublier la
grand-mère.
Cette
grand-mère, vieille dame habillée en habit traditionnel, noir,
contrairement à tous les autres, vêtus à l'occidental, appelle le
petit Hsiao-hsien, Ah-ha. Le gamin, en short et t-shirt blanc, passe
son temps à jouer avec ses amis aux billes ou à la toupie, de temps
en temps, il fait une petite bêtise et sa maman le gronde et la
grand-mère le console. Le gamin et la grand-mère passent du temps
ensemble, elle rêve de reprendre la route pour le continent ne
supportant pas cet exil forcé (ce qui donne le gag récurrent du
pousse-pousse qui la ramène régulièrement), ils ramassent des
goyaves dans la campagne et la vieille dame jongle avec les fruits.
Ces
souvenirs du temps passé, Hou Hsiao-hsien les rappelle avec les
information à la radio qui évoquent la guerre. Un camarade de Ah-ha
dira « on va reconquérir le continent ». Les unes des
journaux annoncent la mort du vice-président. Ce sont les meubles
rustiques de la maison. Les parents, fonctionnaires, n'avaient acheté
que des meubles en bambou, persuadés qu'ils allaient vite rentrer en
Chine. C'est aussi les lettres envoyées par les oncles, donnant des
nouvelles. Ah-ha ne s'intéresse qu'aux timbres collés sur les
enveloppes pour sa collection. C'est le temps de l'insouciance,
l'enfance jusqu'à l'entrée au collège malgré l'insolence envers
les professeurs.
Le
père de famille reste avachi sur son fauteuil, occupé à écrire
ses mémoires qui seront retrouvés par ses enfants bien des années
plus tard. Le père est asthmatique. La mère est d'une énergie
folle, et il en faut pour soigner son mari malade et apathique et
élever ses cinq enfants. Le fils aîné, né prématurément,
maladivement maigre. La fille à qui il faut trouver un époux. Et
les deux petits qui vont grandir. C'est donc à Ah-ha que reviendra
le rôle de chef de famille quand son père meurt, un soir d'orage où
l'électricité est coupée. Scène d'une grande pudeur où la
découverte se fait hors-champ, avec l'obscurité et le cri de la
fille.
Film
en deux temps et en deux époques qui se suivent sans transition, Un
temps pour vivre un temps pour mourir se poursuit, après la mort
du père, avec Ah-ha devenu désormais jeune homme. Il passe du short
au pantalon pattes d'éléphant et débardeur. C'est la partie, bien
plus passionnante à mon avis, des premières fois pour lui. Première
éjaculation nocturne qu'il part nettoyer, première bagarre au sein
du petit gang auquel il appartient, perte du pucelage avec une
prostituée, première clope et premier flirt avec une jeune et jolie
lycéenne avec qui Ah-ha ose à peine parler, totalement à l'opposé
de son personnage de petite frappe.
Cette
deuxième moitié est aussi plus dramatique, l'insouciance a quitté
tous les personnages. La grand-mère commence à perdre la mémoire,
la mère est malade, une vilaine tumeur attaque sa gorge, le fils
aîné se fait recaler à l'armée à cause de son caractère chétif.
On tremble surtout pour Ah-ha qui semble plonger dans la délinquance.
J'ignorais tout à fait que le cinéaste avait eu un vie si agitée.
Il la filme avec de longs plans, la caméra cadrant large, sans
appuyer sur les moments les plus sombres, sans écarter ses actes peu
glorieux, il évite ainsi la nostalgie facile, les souvenirs
anecdotiques et la chronique édifiante.
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