Dans
sa première décennie de cinéma, tous les films de Tim Burton ont
pour titre le nom de leur personnage, rien que des hommes
remarque-t-on. Ed Wood ne déroge pas à la règle mais se
démarque sur quelques points. Premier point : Tim Burton tourne
son premier long-métrage en noir et blanc, lui qui avait habitué à
un univers coloré. Deuxième point : Howard Shore, compositeur
attitré de David Cronenberg, remplace Danny Elfman le temps d'un
film. Troisième point : Tim Burton s'attaque pour la première
fois à raconter la vie d'un homme ayant réellement existé, premier
biopic écrit par Scott Alexander et Larry Karazewski, auteur pour
Milos Forman de Larry Flynt et Man on the moon, et à
nouveau pour Tim Burton de Big eyes, mais avec moins de
bonheur. Johnny Depp était Edward aux mains d'argent, il sera Edward
D. Wood Jr, comme le cinéaste raté et médiocre signait ses films,
un deuxième Edward dans sa longue carrière avec Tim Burton.
Que
Tim Burton réalise un biopic, donc un film d'après un personnage
réel ne l'empêche pourtant pas de poursuivre l'étude de l'univers
du Merveilleux, et rien ne peut être plus merveilleux au milieu des
années 1950 que Hollywood. Comme dans ses films précédents, la
Mecque du cinéma apparaît en début de film sous forme de maquette
grossière, la caméra partant de la colline où les lettres géantes
écrivent HOLLYWOOD pour un travelling arrière sur la réalité bien
plus morne de Ed Wood, celle d'un simple accessoiriste dont le boulot
consiste à trimbaler des plantes dans les décors. Mais Tim Burton
pour bien planter son idée de conte auquel le spectateur s'est
habitué depuis son premier film, fait débuter le film par un
narrateur qui sort d'une tombe, en l'occurrence Criswell (Jeffrey
Jones), médium autoproclamé. Il annonce « la véritable
histoire d'Edward D. Wood Jr ». Ce mage s'est toujours trompé,
on peut lui faire confiance sur la véracité du récit. Puis la
séquence de générique où le nom des acteurs apparaît sur des
pierres tombales.
Avant
d'être le plus mauvais cinéaste de tous les temps (ce qui se
discute bien entendu), Ed Wood était un mauvais metteur en scène de
théâtre. Mais il ne sait pas qu'il est mauvais. Voilà où réside
l'incroyable soif artistique. Sa pièce sur une thématique
totalement hors des canons de l'époque (guerre froide, peur
atomique, chasse aux sorcières) le pacifisme dénote un esprit
indépendant et frondeur. Sa pièce est certes nulle, mais il cherche
le détail positif dans la critique négative. « Peu de
critiques vantent le réalisme des costumes », dit-il fièrement
avec un grand sourire à son épouse et actrice Dolores Fuller (Sarah
Jessica Parker), son ami Bunny (Bill Murray) et ses deux comédiens
Paul Marco (Max Casella) et Conrad Brooks (Brent Hinkley). La grande
beauté de Ed Wood tient dans la tendresse du regard que porte
Tim Burton à son personnage, aucun mépris, aucune moquerie, aucun
jugement de valeur mais beaucoup d'humour. Il sait que Ed Wood est un
médiocre mais il le fait rencontrer, dans une scène imaginaire,
Orson Welles (Vincent D'Onofrio). Seuls Welles et Wood sont acteurs,
producteurs, scénaristes et réalisateurs à Hollywood, ils sont
donc les deux faces d'une même pièce. Mais ils sont égaux, au
moins à eux-mêmes.
Ed
Wood suit le processus créatif de trois chefs d’œuvre du
cinéaste : Glen or Glenda, Bride of the monster
et Plan 9 from outer space. Edward est persuadé qu'il peut
travailler pour les grandes studios, en l'occurrence Warner
(producteur de la plupart des films de Tim Burton, Ed Wood est
produit par Disney via Touchstone), mais l'exécutif qu'il rencontre
croit que Glen or Glenda est un canular de William Wellman.
Edward D. Wood Jr a tourné ce film avec une petite compagnie de
série Z « je fais pas de l'art, je fais des merdes »,
dit le patron. Ed s'était
présenté à lui comme le meilleur pour raconter cette histoire de
travesti, car lui-même porte les pulls angora de sa femme. C'est une
lente descente vers les bas-fonds du cinéma. Edward D. Wood Jr a
beau lancer des campagnes de lever de fonds avec ses amis, il ne
trouve pas d'argent pour financer Bride of the monster. Malgré
le budget riquiqui. Avec son large sourire (Wood avait un problème
de dentier), il tente de recruter tous ceux qu'il rencontre.
Inversement, les investisseurs demandent à ce que leurs proches
jouent dans le film. Ed Wood se fait virer du hangar où il a
installé son équipe, à cause d'un chèque en bois, c'est
d'ailleurs dans un hangar du boucher que se fait la fête de fin de
tournage. Puis, l'avant première du film se déroule dans un chaos
incroyable.
Hollywood
se refuse à lui, Ed Wood crée donc sa propre compagnie et invente
sa propre famille. On a déjà vu Bunny, homosexuel qui fournit des
travestis pour Glen or Glenda. Après avoir échoué à
changer se sexe au Mexique, il sera le chef alien de Plan 9 from
outer space. Tor Johnson (George Steele), catcheur hyper velu
sera de plusieurs films, Lobo l’esclave du savant joué par Bela
Lugosi dans Bride of the monster puis le chef de la police
dans Plan 9. Vampira (Lisa Marie), présentatrice télé sera
l'une de ses actrices dans Plan 9, mais refusera d'avoir la
moindre réplique pendant tout le film. Dolores Fuller quittera Ed
Wood après Monster of the bride, humiliée par son mari de
l'avoir remplacée par une apprentie actrice, Loretta King (Juliet
Landau). Ed croit qu'elle va produire le film et lui donne le premier
rôle. Chaque scène tournée par eux est jugée parfaite par Ed
Wood, malgré les faux raccords, les balbutiements et les décors qui
tremblent. A cette galerie de gentils et drôlatiques monstres, il
faut ajouter Criswell, ainsi que le chef opérateur daltonien et les
accessoiristes qui sont aussi des acteurs de complément et bien
entendu Kathy (Patricia Arquette), qui deviendra l'épouse d'Edward,
son soutien inconditionnel dans toutes les situations. Ils se
déclarent leur amour dans une attraction de train fantôme.
Je
n'ai pas encore parlé de Bela Lugosi qu'incarne avec force et
conviction Martin Landau qui reçut un Oscar pour ce rôle. Tout
autant qu'un biopic sur Ed Wood, Tim Burton fait un film sur Bela
Lugosi, l'acteur hongrois qui incarna Dracula dans les années 1930
et de nombreux vampires (on voit un extrait de White zombie de
Victor Saville et cette manière de déployer ses mains) avait 74 ans
quand il rencontre Ed Wood. Gare à ceux qui le confondent avec Boris
Karloff dont Bela juge le jeu médiocre (« c'est facile de
grogner pour Frankenstein »), mais il confesse plus tard avoir
refusé ce rôle. Lugosi habite, avec ses toutous, dans une modeste
villa de banlieue en tous points similaires à celle du lotissement
d'Edward aux mains d'argent. Toxicomane, vivant seul et sans
remploi depuis des années, Bela Lugosi va revivre, tel un mort
vivant, grâce à Ed Wood. Le plus beau moment est le tournage en
extérieur avec la pieuvre mécanique. Les accessoiristes ont oublié
le moteur. Bela devra, après ingurgité du whisky, remuer les
tentacules dans l'eau glacée pour faire croire qu'il se bat avec la
pieuvre. Tout est prêt grâce à cette magnifique collaboration pour
l'avant première triomphante de Plan 9 from outer space, un
triomphe inventé de toute pièce manière de rappeler que le cinéma,
c'est aussi du rêve et du fantasme, faux happy end sur la musique
superbement mélancolique d'Howard Shore.
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