La
Rivière rouge contient l'une
des scènes les plus connues du western. Matt Garth (Montgomery
Clift) rencontre pour la première fois Cherry Valance (John
Ireland). Ce dernier s'approche et lui dit « Belle arme, je
peux voir ? ». Ils se regardent dans les yeux, Matt se
frotte le nez, esquisse un sourire et tend son revolver. « Regarde
la mienne », dit Cherry en donnant son colt. « Superbe »,
répond Matt. Ils sont tous les deux dans le même plan, à quelques
centimètres l'un de l'autre, jaugeant leur flingue comme si c'était
leurs parties intimes. Et le dialogue continue sur le même ton
ambiguë : « Deux choses surpassent une bonne arme. Une
montre suisse ou une femme de n'importe où. Tu connais les montres
suisses ? » dit Cherry avec un sourire entendu.
Puis,
il essaient les armes, tirent sur une boîte de conserve qu'ils font
valdinguer en l'air, heureux comme des gamins qui n'attendaient que
de se reconnaître, « Very good », « That's good
too, keep on doing », se disent-ils au bord de l'extase de
tirer si bien. « I see what you be now », traduit par
« je vois qui tu es maintenant », omettant la faute de
langage du pur bouseux qu'est Cherry qui estime qu'il est aussi bon
que lui. Matt confie que c'est Dunson (John Wayne) qui lui a tout
appris. Tout cela se fait sous le regard de Groot (Walter Brennan).
La scène reste mémorable pour ce thème cher à Howard Hawks de
l'amitié virile. Malgré son importance en début de film, le
personnage de John Ireland sera quasiment absent du récit de La
Rivière rouge.
Avant
cette séquence, Howard Hawks présente les rapports entre Thomas
Dunson et Matt Garth. Ce dernier était un gamin quand Dunson l'a
connu, un orphelin qu'il a pris sous son aile. Dunson avait alors
quitté la femme qu'il aime, après lui avoir donné son bracelet
fétiche, pour une nouvelle vie, embarquant avec lui Groot, le vieux
cuistot râleur au dentier incertain (le gag récurrent du dentier
qu'il perd au jeu compose avec le chef Indien Yowlachie le meilleur
duo comique de La Rivière rouge). Fidèle ami, Groot passe 14
ans (de 1851 à 1865) à construire avec Dunson un ranch de bœufs à
partir de deux bêtes. L'une est à Garth, l'autre à Dunson. Ce
dernier les fait marquer d'un D suivi du symbole d'une rivière. Dans
une ellipse, Dunson évoque cet empire qu'il a bâti à partir de
presque rien.
Le
personnage qu'incarne John Wayne est une figure mosaïque, une
variation du prophète qui emmène son peuple et son troupeau à
travers le désert et les prairies, du Texas au Missouri. Sa force
est qu'il est un leader né, réunissant une quarantaine d'hommes
pour mener un millier de bêtes. Il a le charisme pour imposer ses
ordres, y compris à Matt qui, malgré son corps frêle (je ne me
rappelais pas à quel point Montgomery Clift était si ridiculement
maigre), entend bien se faire respecter de son aîné, ce père
d'adoption, d'autant qu'il revient de la guerre de sécession. Bref,
il est devenu un homme mais pas encore son égal. La faiblesse de
Dunson est justement son intransigeance face aux tables de la loi
qu'il a lui même fixées. Dunson exige l'obéissance absolue à ses
commandements : suivre le parcours initial, ne pas déserter, ne
pas le contredire.
Dunson
est le héros le plus négatif de tous les films de Howard Hawks. Son
slogan est simple : il tue celui qui s'oppose à lui, il
l'enterre puis lit un passage de la Bible. Je ne crois pas que John
Wayne n'ait jamais joué un personnage aussi antipathique. Le sommet
de sa rigueur apparaît lors d'une scène nocturne. Les dialogues
viennent d'expliquer que le silence doit régner, histoire de ne pas
effrayer les vaches et les bœufs. L'un de ses hommes, un jeune, a
pris l'habitude de grappiller du sucre dans le garde-manger de Groot.
Les assiettes en métal sont renversées par sa faute. Les bêtes
s'enfuient pendant la nuit (tiens, j'ai pensé à l'attaque des
insectes dans Starship
troopers). Les pertes sont
importantes et Dunson décide de punir le jeune homme par le fouet
(encore une fois Starship
troopers).
Jusqu'à
présent, personne n'a osé contredire Dunson. Il reste le maître
absolu. Enfin, Matt ose se mettre en porte-à-faux et suggère le
bannissement plutôt que le fouet. Martyriser les hommes, épuiser
les bêtes, humilier Matt et Groot. Quand trois hommes désertent et
que Dunson leur promet la pendaison, Matt prend le pouvoir et chasse
Dunson. La réplique du patriarche ne tarde pas « Chaque fois
que tu te retourneras, attends-toi à me voir, parce qu'une fois tu
te retourneras et je serai là. Je te tuerai, Matt. » La force
de Howard Hawks est de transformer le dernier quart de La
Rivière rouge en suspense
métaphysique où la tension est à peine atténuée par l'arrivée
du seul personnage féminin du film Tess Millay (Joanna Dru) qui,
logiquement en tant que « femme de n'importe où »,
suggère de régler tout ça au lit plutôt que dans un duel entre
deux flingues.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire