Quel
que soit le bout par lequel on le prend, Super 8 est un
autoportrait de J.J. Abrams. Non pas une autobiographie, mais une
esquisse de son adolescence, un reflet de ses influences et une
vision de sa méthode de mise en scène. La petite troupe que s'est
constitué Joe Lamb (Joel Courtney) avec ses amis est autant celle des
Goonies (version comique) ou de Stand by me (version
tragique) que celle des amis d'adolescence du cinéaste. Au générique
de Super 8, le chef opérateur Larry Fong, le producteur Bryan
Burk, le cinéaste Matt Reeves ont connu J.J. Abrams quand ils
avaient 13 ans.
Ce
qui passionne Joe et Charles (Riley Griffiths), son meilleur ami et
voisin, c'est le cinéma. Charles tourne des films de zombies avec sa
caméra super 8. Joe est accessoiriste (il fabrique le sang et
maquille les comédiens) et cameraman, Martin (Gabriel Basso) joue le
commissaire, Cary (Ryan Lee) est spécialiste des explosifs et un
zombie, Preston (Zach Mills) est figurant. Pour rendre le film plus
professionnel, l'équipe décide de tourner à minuit sur le quai
d'une gare. Charles a engagé Alice Dainard (Elle Fanning) pour les
conduire en voiture et tenir le rôle féminin.
Alice
est étonnée de voir Joe. Quatre mois plus tôt, ce dernier a perdu
sa maman dans un accident. J.J. Abrams filmait en ouverture avec une
économie de moyen, deux plans sans dialogues, l'annonce de cette
mort et le grand désespoir de Joe qui tenait fermement dans sa main
un médaillon contenant une photo d'elle le tenant dans ses bras. Son
deuil, il le fait en aidant Charles à faire son film car, comme le
disait Truffaut, le cinéma est plus important que la vie. Malgré
les querelles de leur père respectif, Joe et Alice sont amis (et
éventuellement amoureux).
Le
petit film de Charles, tourné avec sa petite caméra et ses
camarades de 12 ou 13 ans, avec des costumes trop grands pour eux,
des effets sanguinolents primaires et des maquillages grossiers, se
confronte aux grands effets spéciaux de J.J. Abrams. Devant la gare
de cette petite bourgade de Lillian en Ohio, un train passe, à
grande vitesse. Charles est ravi de ce hasard qui augmente la valeur
de son court-métrage. Et le train explose dans un déluge de feu
pour le plus grand plaisir de Cary mais les morceaux des wagons qui
tombent menacent la petite troupe.
La
caméra super 8 qui s'est affaissée a tout filmé. Le film fait
durer le suspense pour expliquer ce qui s'est passé dans
l'explosion. On sait pour l'instant que la camionnette de M. Woodward
(Glynn Turman) a causé l'accident, que celui-ci a une carte montrant
le trajet du train, que des cubes blancs sont éparpillés partout
sur le sol, et Joe en prend un, et que l'armée arrive pour tout
boucler avec à sa tête le colonel Nelec (Noah Emmerich). Les
apprentis cinéastes déguerpissent et le lendemain Charles et Joe
vont faire développer leur bobine, le film sera prêt dans quelques
jours.
L'agitation
qui secoue la ville de Lillian ne perturbe pas le tournage de
Charles. Les militaires fouillent les maisons, il tourne devant eux,
ils enquêtent sur le lieu de l'accident, il filme le train dévasté
en arrière plan et Cary, Alice et Martin au premier plan. Pendant ce
temps, les chiens fuient la ville, le shérif a disparu et son
adjoint (Kyle Chandler), le père de Joe, doit répondre à une
population angoissée de voir leur ville détruite et en danger. Une
femme va jusqu'à soupçonner les Soviétiques (nous sommes alors en
1979) d'avoir envahi les Etats-Unis.
La
question que se pose alors J.J. Abrams est de savoir quand faire
apparaitre son extra-terrestre qui était séquestré dans ce train.
Doit-il attendre comme dans Alien ou Rencontres du
troisième type ou l'exposer immédiatement comme dans ET
ou Aliens ? Plus encore, il faut caractériser sa
fonction : un ennemi venu détruire la Terre, ce que ses actes
de destructions laissent penser ou au contraire un explorateur
pacifique ce que soutient Woodward dans un film que les ados
regardent dans leur enquête parallèle, leur véritable aventure
comme dans un film des années 1980.
Les
militaires, comme dans tous les films d'aliens de Steven Spielberg,
également producteur de Super 8, sont bornés, belliqueux et
menteurs. Woodward est le pendant de Lacombe dans Rencontres du
troisième type, l'homme qui connaît la vérité sur les OVNI
(Truth UFO / Truffaut). Cette vérité est ineffable et puisqu'on ne
peut pas parler avec l'extra-terrestre, tout passe par les regards de
Joe. Ce regard d'enfant qui perd son innocence (tant mieux) et qui
arrive dans l'âge adulte (tant pis), c'est le regard du spectateur
qui découvre un spectacle du Merveilleux, c'est le regard de J.J.
Abrams, le meilleur conteur du cinéma de ces dernières années.
PS :
On découvre The Case, le film super 8 de Charles et Joe
pendant le générique de fin.
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