J'ai
regardé Le Rouge et le noir (pour la première fois de ma
vie) parce que Johan Libéreau dans Cosmos trimballait le DVD
en disant au sujet de Gérard Philipe « qu'il est beau garçon,
on en fait plus des comme ça ». Le film est sorti le 29
octobre 1954 (il a été en couverture des Cahiers du cinéma en
novembre 1954), soit 8 mois après la lourde charge de François
Truffaut, toujours dans cette même revue, contre « une
certaine tendance du cinéma français » à adapter les romans
phares de la littérature française au goût du jour. Pour le jeune
critique, il était insupportable que Claude Autant-Lara et ses deux
scénaristes Jean Aurenche et Pierre Bost soient aussi anticléricaux.
L'histoire
du Rouge et le noir (3h05)
est celle de Julien Sorel qu'incarne Gérard Philipe, un « petit
paysan » entré au séminaire et qui se voit devenir, grâce au
curé de son village, précepteur des enfants de Monsieur et Madame
de Rênal (respectivement Jean Martinelli et Danielle Darrieux).
Malgré les avances de la bonne Elisa, il devient l'amant de Madame
de Rênal. Face à la lettre anonyme que Rênal reçoit, Madame de
Rénal renonce à son amant d'autant qu'elle voit la maladie de son
petit comme une punition divine. Retour au séminaire à Besançon où
il est chapeauté par l'abbé Pirard (Antoine Balpétré) en rupture
avec sa hiérarchie. Fin de la première époque.
Dans
la deuxième époque, Julien Sorel débarque à Paris. Son abbé
protecteur lui a trouvé une place dans une famille noble,
l'excentrique Marquis de la Môle (Jean Mercure) a sa confiance. Il
devient son secrétaire. Il travaille dans la bibliothèque où il
voit souvent passer Mathilde (Antonella Lualdi), la fille du Marquis
avec qui il entame une liaison au grand dam d'un ami de la famille
(Georges Descrières), lui aussi noble. Sur ordre de son confesseur,
Madame de Rênal écrit une lettre qui affirme que Julien est un
homme pervers. Retour au tribunal, qui ouvrait la première époque,
où les juges condamnent Sorel à mort pour avoir tenté d'assassiner
Madame de Rênal.
Ce
qui frappe est le style de Claude Autant-Lara, c'est la stylisation
extrême des décors des trois lieux. Gris pour la château
provincial des Rênal, un endroit mesquin et sinistre. Blanc pour le
séminaire de Besançon. Beige pour la demeure des De la Mole. Chaque
fois, des murs nus, peu de décorations (miroirs, meubles, tableaux)
ce qui apporte un aspect étrange au film, presque fantastique. On
est loin de l'académisme de nombreux films en costumes du cinéma
des années 1950. Les costumes aux couleurs criardes et vives (vert,
violet, jaune) apportent un peu de vie au milieu de ces univers
mortifères. C'était le premier film en couleurs du cinéaste.
Gérard
Philipe était un peu vieux pour incarner cet arriviste qui utilise
ses charmes pour changer de condition. Il joue un peu théâtre, avec
une voix douce, un visage hiératique, une mollesse dans les
mouvements mais sa voix intérieur qui narre son ambition est plus
vive. Le souci est que tout passe par les dialogues et Gérard
Philipe se repose sur eux, contrairement à Danielle Darrieux au jeu
plus physique. Le film est une délicieuse et virulente critique de
la religion et de l'armée, de l'hypocrisie de la noblesse (M. de
Nêral traite ses domestiques pis que pendre, le Marquis se cramponne
à ses rituels). « L'homme d'église est un valet de chambre
nécessaire pour leur salut » dit l'abbé Pirard.
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