Simon
du désert est mon Buñuel mexicain préféré, un film qui
amorce ses films écrits par Jean-Claude Carrière où le réalisme
absurde provoque un retournement des sens. Simon (Claudio Brook, qui
joua la même année un pilote anglais dans La Grande vadrouille)
est un ermite qui se tient sur une colonne, en plein désert, depuis
six ans, six mois et six jours (666, un signe qu'il ne semble pas
détecter). Il cherche à se rapprocher de Dieu grâce à son ascèse,
il ne désire rien qu'autre que prolonger une pureté, il veut se
repentir de tous ces péchés.
Nous
sommes dans un lieu et une époque du bas moyen-âge, on y entend des
noms anciens, on y évoque Rome bientôt assiégée (par qui, des
hérétiques ?). Bref, Simon du désert décrit un monde
de piété absolue, donc impossible, comme le montre cette scène où
les moines, portant des frocs grossiers surmontés d'un mantelet
décorés de croix, se jettent des anathèmes « vive
l'apocatastase ! » « à bas la Sainte Hypostase »,
toutes ces choses qui avaient tant d'importance dans les premiers
temps des Chrétiens.
Simon
se voit offrir de pratiquer son ascèse sur une colonne encore plus
haute. Il descend de la première, monte par l'échelle sur la
seconde. Il croise sa mère qui pourra vivre dans une cabane au pied
de la colonne, jusqu'à sa propre mort, quel honneur. Et les moines
et le peuple vient réclamer un miracle. Un homme amputé des deux
mains va les récupérer, et avec elles, sa méchanceté naturelle
qui l'avait probablement condamnée à se voir trancher les mains.
Tout le commentaire sur la religion du film se joue sur ces
contrastes entre la parole et les actes.
Ainsi
parmi tous ces moines qui viennent s'agenouiller devant Simon, tous
sont barbus, sauf Mathias, l'un des plus enjoués, le moine novice
qui est encore imberbe et que Simon chasse devant son absence de
poils. La logorrhée de Simon se déverse sur tout ceux qui
constituent, à ses yeux, des obstacles à sa pureté. Pauvre Mathias
qui apporte à manger à l'ermite et qui se voit rabrouer, pauvre
Mathias le vierge qui croise le nain gardien de chèvres qui évoque
toute la tendresse que le berger donne à son animal.
L'aliénation
de Simon atteind son paroxysme quand il reçoit la visite du démon.
Le génie de Luis Buñuel est de faire de son actrice Sylvia Pinal
l'incarnation du diable. Elle rendra visite quatre fois à Simon.
D'abord en porteuse d'eau, invisible des moines. Puis en enfant des
années 1940, créant un redoutable anachronisme, le démon joue
comme une petite fille, utilise un langage puéril avant de montrer
sa poitrine et ses jambes à Simon. Là encore, ce contraste fait
merveille, l'enfant tentatrice face à l'éternel vierge, la parole
bigote face aux babillages.
Le
démon prend de nombreuses formes, se déplace dans l'espace comme
dans le temps, Sylvia Pinal porte un agneau dans les bras, signe de
pureté, puis lui donne un coup de pied. Elle se déplace dans un
cercueil. Elle se transforme en vieille femme nue. Simon voulait
trouver l'ascèse et le paradis, le démon va l'emmener dans l'enfer,
une boite de nuit remplie de jeunes gens dans le New York
contemporain. Mine de rien, en 43 minutes, Simon du désert
est l'une des œuvres les plus belles et drôles sur l’aberration
et le grotesque de la religion.
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