samedi 7 mai 2016

In Jackson Heights (Frederick Wiseman, 2015)

J'ai mis un peu de temps à aller voir In Jackson Heights, avec sa durée rare (3h10) mais pas si exceptionnelle tout compte fait, mais cela valait le coup d'attendre que mon cinéma du coin programme le film. Dans la longue filmographie de Frederick Wiseman, ses films récents et populaires (Boxing gym, National Galery, La Danse – le ballet de l'opéra de Paris, Crazy Horse) se focalisaient sur des lieux facilement abordables, dans une forme de comédie humaine. Le cinéaste filme un métier, un lieu, des personnes au travail. In Jackson Heights reprend l'étude minutieuse d'une ville dont la population, donc autant de personnages, n'est pas liée par l'institution, la profession. Filmer une ville, Frederick Wiseman l'a fait dans Canal Zone (des Américains qui vivent dans le canal de Panama) et Belfast, Maine (la vie d'une petite ville). C'est une matière en gestation entièrement façonnée par la vie quotidienne des habitants et tout tient par le montage (120 heures de rush annonce la fiche du film).

Son film est comme tous ses autres films, pas de voix off en commentaire pour indiquer qui est sur l'écran, où on se trouve, ce que font ses gens (on n'est pas dans Connaissances du monde). Il filme des plans d'ensemble dans leur activité, dans le quotidien, observe silencieusement, puis s'approche des visages en gros plan (étranges séquences chez l'esthéticienne indienne où les femmes se font épiler avec un fil). Il filme les enseignes des magasins, les feux aux croisements, les panneaux de rue, le métro qui passe, les publicités, les néons. Le cinéaste s'est rendu compte que tout cela peut disparaître assez vite. Comme d'autres quartiers du Queens, le gentrification de Jackson Heights inquiète les commerçants du coin qui doivent quitter les lieux pour laisser la place à une population plus fortunée. Ce sont les latinos qui sont visés, installés depuis des décennies, les Colombiens (qui suivent le Mondial de foot de 2014) ne peuvent plus payer les loyers. Le film donne une incroyable leçon sur l'ultra libéralisme sournois et destructeur.

Depuis toujours, Frederick Wiseman filme les discussions entre les habitants. Le mot qui revient le plus est community, la communauté. La langue la plus entendue dans le film est l'espagnol. Jackson Heights est aussi le centre d'une importante communauté LGBT. Un bon tiers du film est consacré aux réunions, parades, discussions de groupe (qui ont lieu notamment dans un centre juif) des gays, lesbiennes et transexuels. Daniel Dromm, le conseiller municipal du district, Démocrate et homo, est à l'écoute de toutes les communautés. Le troisième grand sujet de In Jackson Heights est celui de l'installation des nouveaux migrants, de leur entrée dans la citoyenneté. Hilarante méthode d'apprentissage pour les futurs chauffeurs de taxi du sous-continent indien, candide leçon de démocratie avant l'examen pour devenir Américain. Comme à son habitude, il intercale ces trois fils conducteurs avec des plus courtes saynètes, quatre vieilles dames qui tricotent dissertent sur les acteurs gay, un cours dans une école coranique, l'anniversaire d'un papy. Ça vit, ça grouille, ça réjouit, mais pour encore combien de temps ?

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