« Tu
es très étroite pour une femme de ton âge ». Voilà le SMS
que reçoit Michèle (Isabelle Huppert) un soir sur son téléphone
portable. L'auteur du texto est inconnu mais elle sait que c'est son
violeur, cet homme masqué que l'on vu dans la scène d'ouverture,
brutale et énigmatique. Paul Verhoeven lance son nouveau film, Elle,
dix ans après Black book, son dernier film au cinéma, avec
le regard d'un chat. Ça a quoi comme émotion un chat ? Le chat
à Michèle est le seul témoin du viol, des claques qu'elle reçoit,
du râle qui s'entend, du sang sur sa main. Car Michèle a ses règles
ce jour-là et elle se retrouve avec un coquard sous l’œil.
N'importe
quel autre cinéaste aurait profité de ce lancement tonitruant pour
poursuivre avec un thriller plein de suspense (et Elle a du
suspense), une enquête policière palpitante, mais ce serait trop
simple pour ce cher Paul Verhoeven qui ne ménage pas ses efforts
pour mener un récit simple en apparence mais complexe en réalité
avec un grand nombre de personnages tous plus ou moins triturés par
leur passé (et surtout tous admirablement joués). Michèle est au
centre du récit avec tout les autres qui tournent autour d'elle,
telle une force gravitationnelle.
La
grande idée de Paul Verhoeven est de toucher au genre, le thriller,
sans vraiment y toucher, avec cette scène de viol qui scande la
mémoire de Michèle. Le chat était donc le seul témoin et les
souvenirs de notre héroïne lui jouent des tours, le point de vue
diverge, les plans se modifient. Le cinéaste avait déjà pratiqué
dans Turkish delight et Le Quatrième homme cette
exposition d'une scène de pur fantasme où le sexe et la violence se
mêlent, sans qu'il soit possible de savoir si Michèle n'est pas en
train de prendre du plaisir à son souvenir.
A
qui peut-elle bien parler de son viol qui ne semble pas l'avoir
traumatisé ? A sa meilleure amie Anna (Anne Consigny) avec qui
elle a fondé, après avoir été éditrice, une société de jeux
vidéo (le film apparaissant du coup comme une suite de L'Avenir
de Mia Hansen-Love) ? A son fils Vincent (Jonas Bloquet), un
grand dadais né le même jour que le fils d'Anna, c'est ainsi que
les deux femmes se sont rencontrées, un garçon à l'écoute de sa
mère mais totalement débordé par sa vie de couple, de la naissance
du bébé de sa compagne Josie (Alice Isaaz) ?
Et
la galerie de personnages tous plus névrosés et déréglés
continue, souvent avec un humour vachard. Le mari Richard (Charles
Berling) qui se met avec une doctorante prof de yoga (Vimala Pons).
La mère de Michèle (Judith Magre) qui se tape Ralph (Raphaël
Lenglet) un trentenaire baraqué. Robert (Christian Berkel) le mari
d'Anna qui couche avec Michèle. Et les voisins, Rebecca (Virginie
Efira) et Patrick (Laurent Lafitte) qui viennent d'arriver dans le
quartier. Sans oublier Kurt (Lucas Prisor) et Kevin (Arthur Mazet)
deux designers de ses jeux vidéo.
Le
plaisir que j'ai pris à regarder Elle tient, dans sa première
heure, à présenter tous ces personnages par petite touche, à la
manière d'un impressionniste. Paul Verhoeven distille les
renseignements sur chacun, les fait jouer au jeu du chat et de la
souris avec Michèle (d'où sans doute la présence du félin comme
témoin muet mais consentant, comme le spectateur du film), il lance
des pistes avec des jeux de regards parfois fuyants parfois fixes et
insistant. Sans doute à cause (grâce à) la barrière de la langue,
il doit passer par un autre moyen que les dialogues pour constituer
ses personnages.
Au
milieu du film, une scène de repas avec toute la famille et les amis
de Michèle, lors du réveillon de Noël, va lancer la chute de son
personnage. Autour d'une table ovale, Michèle trône en maîtresse
de cérémonie mais chacun va, petit à petit, sabrer son pouvoir et
annoncer des bouleversements. La deuxième heure de Elle ne
s'en tient pas à révéler des secrets que le spectateur aura
devinés, ce qui compte pour Paul Verhoeven est l’enchaînement de
ces révélations, la manière de dévoiler ces secrets. Et pour
croquer les secrets minables des gens vulgaires et hypocrites, le
cinéaste reste toujours l'un des meilleurs.
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