vendredi 27 mai 2016

Elle (Paul Verhoeven, 2016)

« Tu es très étroite pour une femme de ton âge ». Voilà le SMS que reçoit Michèle (Isabelle Huppert) un soir sur son téléphone portable. L'auteur du texto est inconnu mais elle sait que c'est son violeur, cet homme masqué que l'on vu dans la scène d'ouverture, brutale et énigmatique. Paul Verhoeven lance son nouveau film, Elle, dix ans après Black book, son dernier film au cinéma, avec le regard d'un chat. Ça a quoi comme émotion un chat ? Le chat à Michèle est le seul témoin du viol, des claques qu'elle reçoit, du râle qui s'entend, du sang sur sa main. Car Michèle a ses règles ce jour-là et elle se retrouve avec un coquard sous l’œil.

N'importe quel autre cinéaste aurait profité de ce lancement tonitruant pour poursuivre avec un thriller plein de suspense (et Elle a du suspense), une enquête policière palpitante, mais ce serait trop simple pour ce cher Paul Verhoeven qui ne ménage pas ses efforts pour mener un récit simple en apparence mais complexe en réalité avec un grand nombre de personnages tous plus ou moins triturés par leur passé (et surtout tous admirablement joués). Michèle est au centre du récit avec tout les autres qui tournent autour d'elle, telle une force gravitationnelle.

La grande idée de Paul Verhoeven est de toucher au genre, le thriller, sans vraiment y toucher, avec cette scène de viol qui scande la mémoire de Michèle. Le chat était donc le seul témoin et les souvenirs de notre héroïne lui jouent des tours, le point de vue diverge, les plans se modifient. Le cinéaste avait déjà pratiqué dans Turkish delight et Le Quatrième homme cette exposition d'une scène de pur fantasme où le sexe et la violence se mêlent, sans qu'il soit possible de savoir si Michèle n'est pas en train de prendre du plaisir à son souvenir.

A qui peut-elle bien parler de son viol qui ne semble pas l'avoir traumatisé ? A sa meilleure amie Anna (Anne Consigny) avec qui elle a fondé, après avoir été éditrice, une société de jeux vidéo (le film apparaissant du coup comme une suite de L'Avenir de Mia Hansen-Love) ? A son fils Vincent (Jonas Bloquet), un grand dadais né le même jour que le fils d'Anna, c'est ainsi que les deux femmes se sont rencontrées, un garçon à l'écoute de sa mère mais totalement débordé par sa vie de couple, de la naissance du bébé de sa compagne Josie (Alice Isaaz) ?

Et la galerie de personnages tous plus névrosés et déréglés continue, souvent avec un humour vachard. Le mari Richard (Charles Berling) qui se met avec une doctorante prof de yoga (Vimala Pons). La mère de Michèle (Judith Magre) qui se tape Ralph (Raphaël Lenglet) un trentenaire baraqué. Robert (Christian Berkel) le mari d'Anna qui couche avec Michèle. Et les voisins, Rebecca (Virginie Efira) et Patrick (Laurent Lafitte) qui viennent d'arriver dans le quartier. Sans oublier Kurt (Lucas Prisor) et Kevin (Arthur Mazet) deux designers de ses jeux vidéo.

Le plaisir que j'ai pris à regarder Elle tient, dans sa première heure, à présenter tous ces personnages par petite touche, à la manière d'un impressionniste. Paul Verhoeven distille les renseignements sur chacun, les fait jouer au jeu du chat et de la souris avec Michèle (d'où sans doute la présence du félin comme témoin muet mais consentant, comme le spectateur du film), il lance des pistes avec des jeux de regards parfois fuyants parfois fixes et insistant. Sans doute à cause (grâce à) la barrière de la langue, il doit passer par un autre moyen que les dialogues pour constituer ses personnages.

Au milieu du film, une scène de repas avec toute la famille et les amis de Michèle, lors du réveillon de Noël, va lancer la chute de son personnage. Autour d'une table ovale, Michèle trône en maîtresse de cérémonie mais chacun va, petit à petit, sabrer son pouvoir et annoncer des bouleversements. La deuxième heure de Elle ne s'en tient pas à révéler des secrets que le spectateur aura devinés, ce qui compte pour Paul Verhoeven est l’enchaînement de ces révélations, la manière de dévoiler ces secrets. Et pour croquer les secrets minables des gens vulgaires et hypocrites, le cinéaste reste toujours l'un des meilleurs.

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