dimanche 10 juin 2018

Charlot soldat (Charles Chaplin, 1918)

Pendant la première guerre mondiale, l'état-major projetait des films de Charlot pour soutenir le moral des soldats envoyés au front. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour laquelle tous les films de Chaplin de cette époque particulièrement féconde sont encore visibles, aucun n'est perdu alors que les bobines étaient souvent détruites. Ceci explique aussi la diversité des montages des films, certaines scènes étaient ajoutées au gré des goûts de ceux qui projetaient.

Logiquement, Charles Chaplin s'intéresse au sort des troufions pris au piège des tranchées, à leur terrible vie quotidienne. Il tourne Charlot soldat l'été 1918 quelques mois avant l'armistice – les Etats-Unis ne sont entrés en guerre qu'au printemps 1917. Les premiers plans de Charlot soldat sont des images d'archive du front, commentées ironiquement par Chaplin (pour la ressortie de 1959), histoire de rappeler au public américain la menace d'une guerre nucléaire : 1918, « c'était le bon temps ».

La nouvelle recrue que campe Charlot fait partie du « peloton des maladroits ». Preuves à l'appui lors de l’entraînement. Charlot, rétif à la discipline, a bien du mal à tenir son fusil sur la bonne épaule et dans le bon sens. Mais surtout, il marche en canard, les pieds fort écartés, ce qui n'est pas du goût de son supérieur qui le pousse à tenir ses pieds droits et fixes. Enfin, après ce dur exercice, Charlot mérite un bon repos et s'endort dans sa tente.

Dans les tranchées du front des Ardennes, chaque élément militaire est l'occasion d'un gag. Dans un double travelling avant et arrière, un bombe tombe juste après qu'il soit passé, laissant un épais écran de fumée. Les gaz lancés par les Allemands sont aussi une manière de rire. Charlot reçoit un colis : du fromage qui pue tellement qu'il le balance au dessus de sa tranchée et atterrit sur la tronche de l'officier allemand qui pense que c'est une arme redoutable.

La vie dans les tranchées ennemies est également décrite. Avec leurs casques à pointe, les soldats allemands sont dépeints de manière grotesque et cet officier est un petit bonhomme irascible qui donne des coups de pieds au cul de ses hommes, pourtant de solides gaillards mais qui n'ont pas l'air très malins. Ils subissent ses ordres. Tout l'inverse de l'ambiance fraternelle chez les soldats alliés qui s'entraident pour supporter leur difficile sort.

Pour oublier, Charlot s'imagine en Amérique, dans un bar où le serveur lui prépare un cocktail, exemple de split-screen unique dans le cinéma muet du cinéaste. Charlot et ses comparses dorment dans des lits superposés. Gare quand la pluie tombe à verse et envahit les chambrées souterraines. Les hommes se retrouvent la tête sous l'eau. Un gros soldat moustachu (joué par son frère Sydney Chaplin) continue pourtant de dormir. Il continue même de ronfler.

Il était dans le peloton des maladroits, il faut dire que son numéro d'immatriculation est le 13. Il pense porter malheur à sa troupe, sentiment accentué quand il brise son miroir. Mais il parvient à pénétrer dans le camp ennemi et à faire prisonniers tous les soldats allemands vus précédemment. 13 militaires arrêtés dont ce féroce officier. Charlot se sent le plus fort de tous les soldats de son escouade et se porte volontaire pour une mission périlleuse : il se déguise en arbre pour espionner.

Cette expédition l'amène à rencontrer une jolie Française (Edna Purviance) dans sa maison en ruine, ce qui n'empêche pas Charlot de faire comme si les murs et les fenêtres étaient encore là. Ce sont là des gags à la fois burlesques et empreints d'une douloureuse poésie qui se prolongent par une évidente romance entre la jeune femme et le courageux soldat. C'est ensuite une suite de quiproquos qui pousse le couple à se retrouver face au Kaiser, également incarné par Sydney Chaplin.


Plus de 20 ans avant Le Dictateur, Charlot rencontre et confronte l'ennemi suprême là aussi sur le mode de la supercherie et du déguisement. Charlot devient un général allemand et la jeune femme, habilement grimée avec de la graisse noire pour lui faire une moustache, font prisonnier le Kaiser. Charlot est devient le héros de la guerre jusqu'à la révélation finale qui proclame que la guerre n'est pas un doux rêve à l'héroïsme triomphant. Chaplin reste toujours l'ennemi de la guerre et de l'armée.

















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