Pendant
la première guerre mondiale, l'état-major projetait des films de
Charlot pour soutenir le moral des soldats envoyés au front. C'est
d'ailleurs l'une des raisons pour laquelle tous les films de Chaplin
de cette époque particulièrement féconde sont encore visibles,
aucun n'est perdu alors que les bobines étaient souvent détruites.
Ceci explique aussi la diversité des montages des films, certaines
scènes étaient ajoutées au gré des goûts de ceux qui
projetaient.
Logiquement,
Charles Chaplin s'intéresse au sort des troufions pris au piège des
tranchées, à leur terrible vie quotidienne. Il tourne Charlot
soldat l'été 1918 quelques mois avant l'armistice – les
Etats-Unis ne sont entrés en guerre qu'au printemps 1917. Les
premiers plans de Charlot soldat sont des images d'archive du
front, commentées ironiquement par Chaplin (pour la ressortie de
1959), histoire de rappeler au public américain la menace d'une
guerre nucléaire : 1918, « c'était le bon temps ».
La
nouvelle recrue que campe Charlot fait partie du « peloton des
maladroits ». Preuves à l'appui lors de l’entraînement.
Charlot, rétif à la discipline, a bien du mal à tenir son fusil
sur la bonne épaule et dans le bon sens. Mais surtout, il marche en
canard, les pieds fort écartés, ce qui n'est pas du goût de son
supérieur qui le pousse à tenir ses pieds droits et fixes. Enfin,
après ce dur exercice, Charlot mérite un bon repos et s'endort dans
sa tente.
Dans
les tranchées du front des Ardennes, chaque élément militaire est
l'occasion d'un gag. Dans un double travelling avant et arrière, un
bombe tombe juste après qu'il soit passé, laissant un épais écran
de fumée. Les gaz lancés par les Allemands sont aussi une manière
de rire. Charlot reçoit un colis : du fromage qui pue tellement
qu'il le balance au dessus de sa tranchée et atterrit sur la tronche
de l'officier allemand qui pense que c'est une arme redoutable.
La
vie dans les tranchées ennemies est également décrite. Avec leurs
casques à pointe, les soldats allemands sont dépeints de manière
grotesque et cet officier est un petit bonhomme irascible qui donne
des coups de pieds au cul de ses hommes, pourtant de solides
gaillards mais qui n'ont pas l'air très malins. Ils subissent ses
ordres. Tout l'inverse de l'ambiance fraternelle chez les soldats
alliés qui s'entraident pour supporter leur difficile sort.
Pour
oublier, Charlot s'imagine en Amérique, dans un bar où le serveur
lui prépare un cocktail, exemple de split-screen unique dans le
cinéma muet du cinéaste. Charlot et ses comparses dorment dans des
lits superposés. Gare quand la pluie tombe à verse et envahit les
chambrées souterraines. Les hommes se retrouvent la tête sous
l'eau. Un gros soldat moustachu (joué par son frère Sydney Chaplin)
continue pourtant de dormir. Il continue même de ronfler.
Il
était dans le peloton des maladroits, il faut dire que son numéro
d'immatriculation est le 13. Il pense porter malheur à sa troupe,
sentiment accentué quand il brise son miroir. Mais il parvient à
pénétrer dans le camp ennemi et à faire prisonniers tous les
soldats allemands vus précédemment. 13 militaires arrêtés dont ce
féroce officier. Charlot se sent le plus fort de tous les soldats de
son escouade et se porte volontaire pour une mission périlleuse :
il se déguise en arbre pour espionner.
Cette
expédition l'amène à rencontrer une jolie Française (Edna
Purviance) dans sa maison en ruine, ce qui n'empêche pas Charlot de
faire comme si les murs et les fenêtres étaient encore là. Ce sont
là des gags à la fois burlesques et empreints d'une douloureuse
poésie qui se prolongent par une évidente romance entre la jeune
femme et le courageux soldat. C'est ensuite une suite de quiproquos
qui pousse le couple à se retrouver face au Kaiser, également
incarné par Sydney Chaplin.
Plus
de 20 ans avant Le Dictateur, Charlot rencontre et confronte
l'ennemi suprême là aussi sur le mode de la supercherie et du
déguisement. Charlot devient un général allemand et la jeune
femme, habilement grimée avec de la graisse noire pour lui faire une
moustache, font prisonnier le Kaiser. Charlot est devient le héros
de la guerre jusqu'à la révélation finale qui proclame que la
guerre n'est pas un doux rêve à l'héroïsme triomphant. Chaplin
reste toujours l'ennemi de la guerre et de l'armée.
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