En
1947, quand il entreprend Récit d'un propriétaire, Yasujiro
Ozu n'avait pas tourné de film depuis cinq ans (Il était un
père, un film de commande en pleine seconde guerre mondiale). La
guerre est passée, le cinéaste revient à son thème de
prédilection, l'enfance et livre avec son scénariste Tadao Ikeda le
récit d'un gamin recueilli par une veuve aigrie. Le film, comédie
douce-amère, est le récit de ce drôle de duo.
Récit
d'un propriétaire sort au Japon, en mai 1947, quand le pays
subit encore les terribles contrecoups de la guerre. Le paysage est
en ruine, les familles sont brisées, l'argent manque, la nourriture
n'est pas bonne et les enfants sont abandonnés. Là, arrive un gamin
(Hoho Aoki) . C'est Toshiro (Chisu Ryu) un des locataires qui le
ramène dans l'ensemble d'appartements où les voisins vivent
pratiquement les uns sur les autres.
Le
gamin n'aura jamais de prénom, il a une mine renfrognée, les mains
constamment dans les poches et porte un calot. Il ne dit presque
aucun mot de tout le film. Personne ne veut du gamin. Ni le
propriétaire des appartements, ni les locataires. C'est la veuve
Otané (Choko Iida) qui est forcée de récupérer le petit et ça ne
la réjouit pas vraiment. Mais parce qu'elle est veuve, les voisins
pensent qu'elle peut s'en occuper
Elle
fronce les sourcils devant le gamin terrorisé qui détourne les
yeux. Le gamin pisse au lit, le matelas est tout taché : elle fronce
les yeux et le veut le chasser. Des kakis ont disparu, elle fronce
les yeux en accusant le gamin. Mais, ça n'était pas lui. Le petit
s'exprime en pleurant tout son sou. Un matin, il a encore pissé au
lit. Il s'est enfui avant que la marâtre ne l'expulse. Elle le
cherchera partout, s’inquiétera pour lui, le retrouvera.
Finalement
elle l'aime bien ce môme, elle va l'adopter. Mais le chemin qui a
mené vers cette affection réciproque a été semé d'embûches.
Yasujiro Ozu dans Récit d'un propriétaire manie la cruauté
avec un sens du sadisme assez puissant. Quand le gamin arrive, les
adultes ne se gênent pour parler, en mal, de lui devant lui. « Si
vous n'en voulez pas, abandonnez le » ou « Je déteste
les enfants » disent les adultes.
Un
matin, Otané l'emmène pour tenter de retrouver son père. En vain.
Après une pause au bord de la mer, elle essaie de le semer. En vain.
Yasujiro Ozu les filme dans la longueur du cadre, dans un jeu de
piste. Le gamin la suit comme un chien, elle le chasse. Il sort du
cadre puis, le plan suivant, il est à nouveau là. La force du film
tient à la manière de filmer joyeusement ce Japon du désespoir. On
en est abasourdi.
Quelques
séquences bouleversent et touchent directement au cœur. D'autres
font tendrement sourire, comme celle où tous les locataires
accompagnent une chanson d'amour avec leurs baguettes. La fin de
Récit d'un propriétaire est particulièrement poignante. En
71 minutes, Yasujiro Ozu, qui adopte la solution des plans fixes,
devient à la fois conteur, moraliste et historien.
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