C'est
l'effervescence au village, un lieu perdu dans une montagne, les
habitants observent d'en haut l'arrivée d'un convoi singulier. Le
« patron » a ramené, avec d'autres hommes, un
prisonnier, enchaîné aux pieds, blessé. Un soldat américain Noir
(Hugh Hard). L'air hébété, il suit tant bien que mal ses geôliers
sous le regard éberlué des gamins. C'est l'été 1945 au Japon,
premier film « d'époque » de Nagisa Oshima, non
contemporain de son action, Le
Piège est un film sur la fin
de la deuxième guerre mondiale, en noir et blanc et cinémascope.
Le
patron nommé Takano (Rentaru Mikuni) est fier de sa prise car, tout
simplement, les autorités militaires vont féliciter le village, les
habitants vont être récompensés. La nourriture est rationnée
depuis des mois, les doses de riz sont maigres et les denrées sont
rares, les habitants sont habillés de haillons, comme si le village
avait été totalement oublié. Les enfants et les ados, dans la
chaleur moite de l'été, vêtus que d'un caleçon, observent
le parachutiste comme une bête curieuse. Tout le monde va l'appeler
le « Nègre » (écrit ainsi dans les sous-titres).
Et
ce prisonnier, il va bien falloir le nourrir. Et la nourriture, il va
bien falloir la prendre sur les maigres pitances de chacun. Ainsi en
a décidé le maire du village, un ancien soldat mutilé (il a perdu
une jambe au front et il en est fier) et Takano, l'homme le plus
riche du village refuse tout net de nourrir le « Nègre ».
« On n'a qu'à le laisser crever ! L'ennemi ne mérite
pas de manger ! » disent certains villageois pleins de
haine. L’adolescent Hachiro (Hisao Irizumi) se portera volontaire,
sous les regards furieux, pour donner du lait de chèvre à
l'Américain.
Tandis
que le soldat commence à récupérer après que ses chaînes ont
été enlevées de ses pieds, le village et ses habitants commencent
à adopter un comportement irrationnel et vindicatif. Chaque malheur
qui peut arriver semble être causé par le Noir. Si les enfants
d'une veuve de guerre ont volé du gruau, c'est la faute du Noir, si
Jiro appelé sous les drapeaux a fui du village, c'est la faute du
Noir, si les autorités n'envoient pas d'aide, c'est la faute du
Noir. Il est le bouc-émissaire idéal pour l'accabler de tous les
malheurs des villageois.
La
force du Piège
réside dans ses incroyables plans séquences où la caméra scrute
et suit chaque personnage dans des longues et violentes discussions.
A l'intérieur de la maison du patron, dans la sinistre cabane où
est prisonnier l'Américain, sur la plage du village, tous les
personnages discutent avec férocité. Nagisa Oshima montre une micro
société gangrenée par la soumission au chef, le marché noir, les
adultères, la folie, la pauvreté, la mesquinerie, la radinerie, la
faim. Un condensé du Japon de la toute fin de guerre, un Japon aux
abois.
Le
film regorge de personnages, chacun subissant la cruauté d'un autre.
L'épouse cocue de Takano sait que son mari est le père de l'enfant
de la voisine. La nièce lycéenne venue de Tokyo se réfugier là.
La veuve (ou presque) qui attire les convoitises. La folle du village
nymphomane. L'employé de Takano obséquieux et pleutre qui se fait
exploiter et traiter pis que pendre. Le bureaucrate unijambiste
incompétent mais prétentieux. Et les autres qui suivent l'avis du
plus fort, de celui qui crie le plus. De tous ces maboules, Nagisa
Oshima ne sauve que les enfants.
Isolés,
les habitants ne savent rien de ce qui se passe dans le reste du
Japon. Soudain, un avion survole la montagne, les cloches sonnent.
Tous aux abris. Le portrait de l'Empereur est là pour les protéger,
mais sous la photo, des statues des Dieux sont aussi peu efficaces.
Et un jour, de l'autre côté de la montagne, les jeunes voient un
grand feu. Ils ne le savent pas, mais c'est la bombe et ils
apprendront la capitulation. Il ne reste plus qu'une chose à faire,
qui résume bien la situation du Japon de 1961, « on va oublier
ce qui s'est passé pendant la guerre ».
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