lundi 11 juillet 2016

Le Piège (Nagisa Oshima, 1961)

C'est l'effervescence au village, un lieu perdu dans une montagne, les habitants observent d'en haut l'arrivée d'un convoi singulier. Le « patron » a ramené, avec d'autres hommes, un prisonnier, enchaîné aux pieds, blessé. Un soldat américain Noir (Hugh Hard). L'air hébété, il suit tant bien que mal ses geôliers sous le regard éberlué des gamins. C'est l'été 1945 au Japon, premier film « d'époque » de Nagisa Oshima, non contemporain de son action, Le Piège est un film sur la fin de la deuxième guerre mondiale, en noir et blanc et cinémascope.

Le patron nommé Takano (Rentaru Mikuni) est fier de sa prise car, tout simplement, les autorités militaires vont féliciter le village, les habitants vont être récompensés. La nourriture est rationnée depuis des mois, les doses de riz sont maigres et les denrées sont rares, les habitants sont habillés de haillons, comme si le village avait été totalement oublié. Les enfants et les ados, dans la chaleur moite de l'été, vêtus que d'un caleçon, observent le parachutiste comme une bête curieuse. Tout le monde va l'appeler le « Nègre » (écrit ainsi dans les sous-titres).

Et ce prisonnier, il va bien falloir le nourrir. Et la nourriture, il va bien falloir la prendre sur les maigres pitances de chacun. Ainsi en a décidé le maire du village, un ancien soldat mutilé (il a perdu une jambe au front et il en est fier) et Takano, l'homme le plus riche du village refuse tout net de nourrir le « Nègre ». « On n'a qu'à le laisser crever ! L'ennemi ne mérite pas de manger ! » disent certains villageois pleins de haine. L’adolescent Hachiro (Hisao Irizumi) se portera volontaire, sous les regards furieux, pour donner du lait de chèvre à l'Américain.

Tandis que le soldat commence à récupérer après que ses chaînes ont été enlevées de ses pieds, le village et ses habitants commencent à adopter un comportement irrationnel et vindicatif. Chaque malheur qui peut arriver semble être causé par le Noir. Si les enfants d'une veuve de guerre ont volé du gruau, c'est la faute du Noir, si Jiro appelé sous les drapeaux a fui du village, c'est la faute du Noir, si les autorités n'envoient pas d'aide, c'est la faute du Noir. Il est le bouc-émissaire idéal pour l'accabler de tous les malheurs des villageois.

La force du Piège réside dans ses incroyables plans séquences où la caméra scrute et suit chaque personnage dans des longues et violentes discussions. A l'intérieur de la maison du patron, dans la sinistre cabane où est prisonnier l'Américain, sur la plage du village, tous les personnages discutent avec férocité. Nagisa Oshima montre une micro société gangrenée par la soumission au chef, le marché noir, les adultères, la folie, la pauvreté, la mesquinerie, la radinerie, la faim. Un condensé du Japon de la toute fin de guerre, un Japon aux abois.

Le film regorge de personnages, chacun subissant la cruauté d'un autre. L'épouse cocue de Takano sait que son mari est le père de l'enfant de la voisine. La nièce lycéenne venue de Tokyo se réfugier là. La veuve (ou presque) qui attire les convoitises. La folle du village nymphomane. L'employé de Takano obséquieux et pleutre qui se fait exploiter et traiter pis que pendre. Le bureaucrate unijambiste incompétent mais prétentieux. Et les autres qui suivent l'avis du plus fort, de celui qui crie le plus. De tous ces maboules, Nagisa Oshima ne sauve que les enfants.

Isolés, les habitants ne savent rien de ce qui se passe dans le reste du Japon. Soudain, un avion survole la montagne, les cloches sonnent. Tous aux abris. Le portrait de l'Empereur est là pour les protéger, mais sous la photo, des statues des Dieux sont aussi peu efficaces. Et un jour, de l'autre côté de la montagne, les jeunes voient un grand feu. Ils ne le savent pas, mais c'est la bombe et ils apprendront la capitulation. Il ne reste plus qu'une chose à faire, qui résume bien la situation du Japon de 1961, « on va oublier ce qui s'est passé pendant la guerre ».





















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