vendredi 22 juillet 2016

Batman (Tim Burton, 1989)

C'était une campagne promo qui a duré pendant tout l'été, la première fois que le marketing prenait autant de place en France pour un blockbuster hollywoodien. Il faut dire, qu'à part quelques spécialistes, personne ne connaissait Batman, le comics créé par DC Comics. Et pendant trois mois, de la sortie de l'album de Prince en juin 1989 à celle du film de Tim Burton en septembre, tout le monde ne parlait que de Batman. Souvent pour juger sans avoir vu le film, pour dire que « trop c'est trop », pour se déclarer expert ès super-héros et Batman (je me rappelle le chanteur Tristan « Je suis de bonne bonne humeur ce matin » qui déclarait que Tim Burton était nul et que le film sera nul, ça me fait sourire autant 27 ans après). Le rouleau-compresseur promotionnel allait-il atteindre la presse ? Le magazine Première et les Cahiers du cinéma ont mis Batman en couverture. Scandale dans le courrier des lecteurs des Cahiers qui se faisaient traiter de vendus. Ils avaient raison.

Dans mon hommage à Prince, j'avais écrit que les chansons qui formaient son album étaient rares dans le film. Dany Elfman a composé une BO à part, largement utilisée. Dans ses deux premiers films, Tim Burton utilisait des chansons connues de tous, plutôt des années 1960, et il voulait des chansons de Prince de ses débuts, mais Warner Bros l'a forcé à intégrer des nouvelles chansons, essentiellement dans les scènes avec le Joker. Dans la séquence d'introduction où Batman (Michael Keaton) rend justice pour la première fois, on entend, en sourdine, « The Future » sortant des ghetto-blasters, dans un travelling qui conduit au centre névralgique de la trauma, le Monarch Theatre, cinéma près duquel les parents de Bruce Wayne (Michael Keaton également) ont été assassinés 17 ans auparavant. Bienvenue à Gotham City, ville gangrenée par le crime et la corruption mais qui s'apprête à fêter son bicentenaire et prépare les élections pour l'Attorney General, Harvey Dent (Billy Dee Williams) brigue le poste et promet l'éradication de la pègre.

Cette pègre, à l'imagerie directement issue des films noirs des années 1930 (chapeaux, costumes croisés), est tenue par Grissom (Jack Palance), vieillard qui décide de se débarrasser de l'un de ses bras droits, Jack Napier (Jack Nicholson). Grissom a compris que Jack couche avec sa petite amie, Alicia Hunt (Jerry Hall), superbe blonde sculpturale. Avec l'aide d'un flic corrompu, le parrain veut tuer Jack dans son usine chimique. Défiguré par des acides, après une chirurgie faciale, Jack deviendra le Joker au sourire inamovible « Have you ever heard of the healing power of laughter ? » (avez-vous déjà entendu parler du pouvoir guérisseur du rire) demande Joker. Ce changement de nom transforme le sous-fifre Jack (le valet dans les jeux de cartes) en Joker (la carte qui domine toutes les autres) passe par un changement de costumes, du gris de la pègre au violet et vert du bouffon. Il s'entoure d'une garde rapprochée vêtue d'une blouson portant l'insigne du Joker. Sa première action est de tuer Grissom puis de prendre le pouvoir de la pègre.

Même si Tim Burton s'intéresse à la fougue et à la folie du Joker, il faut bien parler un peu des autres personnages qui gravitent du côté des gentils, forcément moins passionnants et plus falots. D'abord les journalistes, Alexander Kox (Robert Wuhl, qui semble jouer dans un autre film) gribouille au Gotham Globe, posant des questions au Maire de Gotham City avec son enregistreur. Il enquête avec sa nouvelle co-équipière Vicky Vale (Kim Basinger), photographe de mode reconvertie en reporter de guerre qui revient du Corto Maltese. Joker regardant son book, dira « crap » à chaque photo de mode puis se passionnant pour les cadavres photographiés en noir et blanc. Knox s'intéresse au Joker et Vicky Vale à Bruce Wayne. Ils s'incrustent à un pince-fesses dans le manoir du milliardaire, Vicky passera par la case chambre à coucher sous l’œil bienveillant d'Alfred (Michael Gough), le majordome qui connaît tous les secrets de Bruce Wayne. Ce sont ces secrets que Vicky Vale cherche à percer, elle veut comprendre la personnalité de cet homme sans personnalité.

La position du Joker dans Batman est ambiguë parce qu'il endosse à la fois le rôle du super méchant et celui du personnage comique, enchaînant blague sur blague pour donner crédit à son surnom. Il veut façonner Gotham City à son image, c'est-à-dire détruire la beauté. Mais une beauté académique, tout en stéréotype, comme un sous-texte sur Hollywood. Le musée devient un terrain de jeu où il mâchure les toiles de maîtres et détruit les sculptures (sur la chanson « Partyman »). Le Joker choisit d'intoxiquer la population. Il invente, grâce à son usine chimique, un procédé qui, mêlé à des produits de beauté, détruit les visages, laissant les victimes mortes arborant le rictus du Joker. Il tente de gazer toute la ville lors de la parade du bicentenaire de Gotham City, attirant les badauds en jetant des dollars du haut de son char (sur la chanson « Trust »). L'étape suivante est de transformer le visage d'Alicia Hunt, elle devra porter un masque. Son visage ravagée, il se lasse pour tenter de conquérir Vicky Vale. C'est le moment de la première confrontation directe entre le Joker et Bruce Wayne, qui vient sans son masque de chauve-souris.

Cette rencontre est le cœur du film. Joker et Bruce Wayne s'étaient croisés auparavant, mais chacun ignorait qui était l'autre. A partir de cette scène, Tim Burton aborde pour la première fois l'un de ses sujets majeurs, la création des monstres. Le Joker prononce une phrase « Ever dance with the devil in the pale moonlight », renvoyant Bruce Wayne dans ses plus sombres souvenirs. Qui a créé l'autre, Jack Napier en tuant Monsieur et Madame Wayne ou Batman en jetant Jack Napier dans une cuve d'acide ? Gotham City engendre deux chimères, l'un au visage blanc cadavérique, l'autre au masque noir ténébreux. Bruce Wayne traite le Joker de psychopathe, belle ironie de Tim Burton, Bruce Wayne étant un homme terré dans sa grotte secrète, multipliant les mensonges à Vicky Vale, incapable d'avoir la moindre relation humaine normale. Malgré les concessions au genre (courses poursuites, explosions, gadgets), Batman renouvelle le film de super-héros. Le succès au box-office fût au rendez-vous, ce qui permit à Tim Burton de laisser sa fantaisie envahir Batman returns, film largement supérieur.
































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