La
neige tombe sur le logo de la 20th Century Fox, une
manière évidente d'annoncer que Edward aux mains d'argent
sera un conte de Noël, un récit du Merveilleux. La grand-mère
borde sa petite-fille, après avoir vu, de la fenêtre, la maison sur
la colline. Cela lui rappelle cette histoire qu'elle va raconter à
l'enfant. Et comme tout conte a un début, Tim Burton ne perd pas de
temps et plante le décor : un petit lotissement américain aux
villas de couleur pastel. Comme dans tous ses films de sa première
période (de Pee-Wee Big adventure à Mars attacks!),
l'univers est un subtil mélange de vieillot (tenues et voitures des
années 1960) et d'actuel. Une Amérique qui n'existe qu'au cinéma.
Vêtue
d'une beau tailleur mauve, Peg (Dianne Wiest) est « ambassadrice
Avon », en clair, elle vend des produits de beauté. Et c'est
chez ses voisines qu'elle sonne. Entre Helen (Conchatta Ferrell) les
bigoudis aux cheveux, Joyce (Kathy Baker) occupée à draguer le
plombier et Esmeralda (O-Lan Jones), la bigote solitaire, personne ne
veut acheter quoi que ce soit. Dépitée malgré son enthousiasme,
Peg voit la maison perchée et se propose de tenter le coup. Elle
pénètre dans le jardin mal entretenu, envahi par les mauvaises
herbes et les arbustes puis pousse la grille. Là, elle est
émerveillée par la beauté du jardin. Les arbres sont sculptés en
forme d'animaux.
Elle
entre enfin dans la demeure délabrée, semblable à un château
hanté. Tout à l'opposé du jardin merveilleux. Le hall est immense,
recouvert de poussières, une machine étrange remplit la moitié du
lieu. Un escalier aux marches anciennes montent au grenier, une
géante statue fantomatique orne la rambarde. Peg appelle, demande si
quelqu'un est là. Elle regarde partout, observe bien, remarque un
collage d'articles de journaux. Du fond du grenier, un homme s'avance
dans l'ombre, c'est Edward (Johnny Depp) qui semble sortir de son
antre et qui avance vers elle, hésitant, d'un petit pas.
La
première scène de Johnny Depp évoque, avec sans doute une ironie
de Tim Burton, celle d'un démon et, en l'occurrence à cause des
ciseaux longs à la place de ses doigts, immanquablement Freddy
Kruger. Johnny Depp avait débuté au cinéma dans Les Griffes de
la nuit de Wes Craven (1984). Si Peg est tout en mauve pastel, de
la tête au pieds, la peau d'Edward est noire, comme une combinaison
de cuir et de lanières qui n'est pas sans rappeler un tenue SM. Tim
Burton passe du rictus grimaçant du Joker dans Batman au
sourire timide et minuscule d'Edward au visage d'une pâleur extrême.
Un personnage en noir et blanc tout droit venu du cinéma des années
1930.
Cette
créature qu'est Edward aux mains d'argent voit son passé révélé
par trois très courts flashbacks, sous forme de souvenirs qui
reviennent à Edward lors de moments de tristesse. Son créateur est
joué par Vincent Price qui apparaît six minutes, la durée du
court-métrage Vincent. Première scène, où le mécanisme de
fabrication des biscuits lui donne l'idée fabriquer un humain.
Deuxième scène, où il lit un poème à Edward. Troisième scène,
il a enfin confectionner les mains de sa créature, mais meurt devant
Edward. La fulgurance avec laquelle Tim Burton visite le passé de
l'inventeur est poétique et d'une tristesse infinie.
Peg
décide que Edward doit vivre parmi les hommes, c'est le début de la
partie comédie d'Edward aux mains d'argent. Bill le mari
(Alan Arkin) et Kevin le fiston (Robert Oliveri) accueillent
chaudement Edward. C'est au tour des voisines de vouloir le
rencontrer. Joyce, grâce au téléphone qui sert à se répandre en
commérages, force Peg à inviter le lotissement. Edward est
l'attraction du barbecue, toutes les voisines se l'accaparent, les
enfants veulent jouer avec lui et les voisins veulent devenir son
ami. Vêtu d'une chemise blanche et d'un pantalon noir, Edward
commence à se sentir à l'aise parmi les habitants tous habillés de
couleur pastel, orange, mauve, jaune, vert.
Edward
a un don pour utiliser ses mains en ciseaux. Il sculpte, comme on
l'avait vu dans le jardin de son château (le plus gros arbre taillé
était une main, ce qui précisément lui manque). Il taillera les
arbres des villas, puis coupera les poils des chiens et finira par
coiffer ces dames, ravies de l'attention que leur porte Edward,
tandis que leurs époux partent chaque matin au boulot, à la queue
leu leu dans leur voiture forcément pastel. Tout va bien dans le
meilleur des mondes mais le film ne vas pas rester longtemps dans cet
univers de sourires, de gentillesse et de guimauve que Tim Burton
décrit comme un conformisme, comme une anomalie.
L'ambiance
et le ton vont se modifier avec l'arrivée de Kim (Winona Ryder), la
fille de Peg aux longs cheveux blonds. Elle était partie en week-end
avec des copains et son petit-ami Jim (Anthony Michael Hall), au
physique totalement opposé de celui d'Eward. La comédie se prolonge
un instant avec la séquence en deux temps du retour. Kim rentre dans
sa chambre où dort Edward et croit que c'est un intrus. Puis, le
père offre du whisky à Edward qui s'écroule comme un enfant dès
la première gorgée. Edward, qui n'avait vu Kim jusque là qu'en
photo, admire la jeune fille.
Le
film prend les atours d'un teenage movie, cruel et touchant. Jim ne
va supporter que Kim, petit à petit, se prenne de sympathie pour
Edward, qu'il considère comme un monstre. Il va le harceler et le
menacer avec de plus en plus de violence. Un événement va
transformer la confiance et l'amitié que toute la population avait
pour Edward en animosité. Les ragots que lance Joyce seront répétés,
déformés et amplifiés par chacune des voisines. Peg ne pourra plus
contrôler la situation et Edward ne pourra plus contrôler son
calme.
Deux
scènes magnifiques montrent l'amour naissant entre Edward et Kim. La
première est celle de l'émission télé où on demande à Edward
s'il a une amoureuse. Il fixe la caméra tandis que Kim regarde
intensément le poste télé. La deuxième est celle de la sculpture
de glace où Kim danse au son de la superbe musique de Danny Elfman
(sa meilleure pour Tim Burton). Face à ces deux scènes poignantes,
Tim Burton oppose la vindicte populaire dans un hommage à la
séquence de lynchage de la créature du Frankenstein de James
Whale. Mais la grand-mère qui narre le conte décide qu'Edward est
toujours vivant, au moins dans son cœur et dans ses pensées.
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