mercredi 31 mai 2017

Petit à petit (Jean Rouch, 1970)

A Niamey, capitale du Niger, il n'existe pas d'immeubles de plusieurs étages, alors qu'en France, on en trouve plein. C'est pourquoi Damouré décide de partir étudier les immeubles de 7 ou 8 étages afin d'en construire un ici, comme à Paris. La petite entreprise des trois amis de Jaguar, Lam, Damouré et Illo s'appelle comme le titre du film, Petit à petit, elle est devenue florissante depuis l'indépendance, mais ça n'est pas encore assez.

14 ans plus tard, Jean Rouch reprend les mêmes. Le galant Damouré, le chef, convoque avec des « mon très cher ami », des franches poignées de main et du vouvoiement (il a grimpé l'échelle sociale avant de grimper dans les buildings), ses camarades pour leur annoncer ses projets et s'envoler à Paris. Fier comme Artaban dans son beau costume, coiffé d'un chapeau chic et le sourire aux lèvres, il fait le fanfaron en première classe.

Petit à petit embrasse le même humour ironique que Jaguar. La férocité de Damouré se fait piquante quand il commente la vie des Parisiens, qu'il les observent comme les Français venaient observer les Africains. Il mesure les crânes des hommes, les hanches des femmes, il vérifie l'état de leur dents (il croise Michel Delahaye, patron des Cahiers du cinéma à l'époque) qui se prête au jeu de bonne grâce même quand la couleur jaune de son pull ne plaît pas à Damouré.

L'effet de cette ethnologie est dévastateur en reproduisant des gestes faits par les colons européens pendant des décennies, par les soi-disant scientifiques qui prétendaient étudier les races et tous les négriers venus se servir dans l'Afrique Noire. Avec son air de ne pas y toucher, en se faisant parfois passer pour un étudiant, Damouré venge des millions de gens maltraités par l'histoire, j'imagine le rire que cela a pu déclenché à l'époque, et aujourd'hui encore devant un tel bagout.

Mais revenons à notre immeuble. Damouré s'installe dans un bel hôtel et part à la rencontre d'architectes à qui il explique son beau projet (8 étages, un pour chacune des ses six épouses, dit-il, et il compte ramener deux Blanches). Un projet improbable mais qui emporte l'adhésion des architectes. Il envoie des cartes postales rassurantes aux associés, mais Lam, le berger nomade Peul, veut juger sur pièce et débarque à Paris pour contrôler son ami.

C'est sans doute la partie la plus rigolote de Petit à petit, un humour franc et cocasse. Les deux amis s'achètent une voiture de luxe anglaise et croisent Safi Faye (l'actrice et réalisatrice sénégalaise) qui conduit sa décapotable. La discussion s'engage à fond les ballons sur les Champs Elysées, elle finit pas s'inviter dans leur suite, fait la mannequin, cuisine du poulet. Ils sont désormais comme chez eux mais n'oublient jamais de s'envoyer des petites piques.

Au cours de leur pérégrination touristique dans Paris, ils font du bateau mouche où Lam croise un SDF. Avec la dactylo française tout juste embauchée, ils retournent à Niamey à cinq poursuivre leur business. Plus rien ne va entre eux, le capitalisme les a pourris. Leur projet tombe à l'eau et Damouré abandonne l'idée de construire un immeuble de 7 ou 8 étages. Ils dissolvent l'entreprise « petit à petit » devenue trop « grand à grand » et ils reprennent leur vie d'avant la richesse.

Et aujourd'hui, c'est le centième anniversaire de la naissance de Jean Rouch.



















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