« Je
vous prie de m'excuser », la formule étonne les interlocuteurs
de Mathias Barillet (Emmanuel Salinger), Claude (Emmanuelle Devos)
lui demande « comment tu parles ? ». Non pas
« désolé » (trop film américain doublé rapidement),
ni « excusez-moi » (un impératif et non un souhait),
Arnaud Desplechin par cette formule indique parfaitement que le jeune
étudiant en médecine légale vient d'un autre monde, d'une autre
langue, d'une autre éducation, de l'Allemagne où il a appris ce
français distingué.
La
bizarrerie de Mathias Barillet est celle du corps d'Emmanuel
Salinger, des yeux globuleux qui semblent toujours en interrogation,
des cheveux finement bouclés, une légère cicatrice sur la lèvre.
Sa discrétion est mise à mal par son corps qui se rebelle,
saignements de nez, crampe douloureuse au pied, son corps se
contracte autant devant la mission qui lui est assignée que devant
les femmes où sa timidité et son ignorance des codes de la
sociabilité apparaissent comme une curiosité. C'est un homme sans
amis, à la vie de merde, comme lui dit Jean-Louis Richard.
Ce
dernier joue Bleicher, un personnage énigmatique, celui par lequel
La Sentinelle amorce son récit. Dans le train qui le ramène
d'Aix-La-Chapelle à Paris, en compagnie de Jean-Jacques (Thibault de
Montablembert), fils de diplomate comme Mathias et diplomate
lui-même, Bleicher convoque Mathias et lui cause longuement,
violemment, fouille sa malle, se fait l'inquisiteur de sa vie. Et
Bleicher disparaît sur le quai. C'est plus tard, dans son hôtel,
que Mathias constate qu'une tête momifiée a été placée dans sa
valise.
A
qui parler de cette tête ? A l'hôpital où il fait ses études,
il en touche quelques mots à Simon (Fabrice Desplechin), autre
étudiant, qui l'engueule, qui le menace de poursuites judiciaires,
qui se fâche contre les hésitations langagières (« tu es
juif ? » quand il lui parle pour la première fois). A un
prêtre joué par Philippe Laudenbach ? Finalement, il étudiera
en secret cette tête dans sa fac entre deux autopsies et cours (on
remarque la présence de Mathieu Amalric, très juvénile, en
étudiant malade devant la découpe d'un corps).
C'est
à l'hôpital que Mathias rencontre Claude, la fille du directeur des
études universitaires. Elle est étudiante en art plastique. Il
croit qu'elle est la fille d'un défunt. Immédiatement, le regard de
Mathias angoisse Claude. Plus tard, sa maladresse à la cafétéria
où il tente une conversation, où il veut l'embrasser crée un
malaise. Mathias s'est déjà enfermé dans la mort, dans cette
volonté de trouver un nom à cette tête, de lui redonner son
identité. Claude représente la vie qu'elle ne parviendra jamais à
offrir à Mathias.
Le
monde des diplomates ne convient guère mieux à Mathias.
Jean-Jacques l'invite à une soirée mondaine où il retrouve sa sœur
Marie (Marianne Denicourt). Ils ne s'étaient pas vus depuis des
années. Avec Nathalie (Valérie Dréville), elle aspire à devenir
chanteuse lyrique, c'est ainsi que toutes les deux entonnent le duo
des chats de Rossini. Les deux femmes sont pleines de vie, les
opposées exactes de Mathias. Cela fait trop longtemps qu'il ne
connaît plus sa sœur pour qu'elle puisse à nouveau lui insuffler
la joie de vivre.
C'est
William (Bruno Todeschini) qui fait entrer La Sentinelle dans
le film d'espionnage, un récit aussi éloigné de James Bond ou de
Lemmy Cautioon que possible, un récit à la sophistication subtile
comme rarement le cinéma français n'a pu en proposer. William est
l'antithèse de Mathias, un homme, comme il lui dit, qui n'aime pas
parler mais qui adore en faire des tonnes, une manière d'avancer
caché au milieu de la foule. C'est Nathalie qui présente William à
Mathias et c'est Jean-Jacques qui les convainc de se mettre en
colocation.
William,
dans l'appartement qu'ils partagent, erre tel un oiseau de proie
autour de Mathias qui va subtiliser son accréditation « secret
défense » pour obtenir des réponses à sa tête. Chauffant le
chaud (des accolades devant tous les amis) comme le froid (des
menaces quand, grâce à la pièce qu'il a posé sur le loquet de la
porte de sa chambre, il comprend son intrusion), William est le
moteur du suspense de La Sentinelle. Pauvre de lui, Mathias
croit être maître de la situation alors qu'il ne s'est jamais rendu
compte qu'il était un autre George Kaplan, un homme qui n'existe pas
manipulé par des forces qu'il ne contrôle pas.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire