« A
l'origine, le mot persona, c'est le masque porté par les
acteurs dans la tragédie classique. Persona peut aussi
caractériser les différents personnages de la pièce. », dit
Torsten Manns à Ingmar Bergman dans son livre d'entretiens (Le
cinéma selon Bergman, 1970, Editions Seghers). Elisabet Vogler (Liv
Ullmann) est une actrice de tragédie. Elle joue Electre au théâtre.
Mais un jour, elle ne peut plus sortir un seul mot. Le regard
angoissé, elle tourne la tête du public vers les coulisses.
Elisabet doit se reposer, quitter le monde, déclare le médecin de
l'hôpital à Alma (Bibi Anderson), la jeune infirmière qui va
s'occuper d'elle.
Si
en début de film (lire le texte sur la séquence pré-générique), seul le visage d'Elisabet est montré, Alma
apparaît de plein pied à l'image, elle ouvre cette porte de la
chambre d'hôpital où la patiente est allongée. Une chambre
glaciale, sans décor, clinique. Elles se saluent poliment. Elles
partent ensuite toutes les deux dans une belle maison au bord de la
mer. Que faire pour briser le silence, pour ne pas se sentir seule,
est l'interrogation d'Alma. Elle va parler d'elle, dans un flot
ininterrompu de monologues qu'Elisabet écoute. Alma parle d'elle, de
sa vie d'infirmière, de son couple bancal, de son désir (ou non)
d'enfant. Alma a une vie banale. Les mots se succèdent comme les
images de la séquence pré-générique se suivaient. Les deux femmes
se promènent, font quelques activités, mangent, bronzent, dorment,
lisent, écrivent.
Alma
veut percer le secret de l'actrice. Lors d'un passage en ville, Alma
ouvre et lit les lettres qu'Elisabet a écrit. L'infirmière y est
décrite avec un certain mépris, un mépris de classe. Elisabet
l'étudie pour un éventuel rôle, elle étudie la vulgarité d'Alma,
qui la fascine autant qu'elle la dégoûte. Elle veut passer
d'Electre à la masse laborieuse. Tout cela décontenance Alma qui,
de retour à la maison, veut des explications. Elle se heurte à un
mur de silence. Un verre se brise, Elisabet marche sur les bris de
verre et se coupe le pied. Le film se brise dans le même temps,
l'image de la pellicule se fragmente, la bobine se met à brûler,
comme cela arrivait parfois dans les projection en 35mm.
Ce
qui va pousser enfin Elisabet a sortir son premier mot (un non
angoissé), c'est une violente dispute où Alma, après lui avoir
reproché d'avoir nié avoir parlé plus tôt, poursuit Elisabet dans
la maison et la menace avec de l'eau bouillante. Avant qu'elle ne
puisse révéler le mal qui la ronge depuis des années, Elisabet
ouvre un livre où une photo sert de marque page. Cette photo est
celle d'enfants juifs arrêtés par le nazis. Comme pour la guerre du
Viet Nam illustrée par l'extrait de film de ce moine qui s'immole à
Hanoï, Elisabet se sent impuissante face aux désastres de
l'humanité. Que peut Electre face à la guerre ? Rien, autant
se taire.
Une
fois les masques tombés, le processus d'identification entre
Elisabet et Alma va se prolonger. Ingmar Bergman introduit dans
Persona
des scènes de rêve. Ce sont toutes ces séquences où les deux
personnages sont côte à côte et s'assimilent l'une l'autre.
Elisabet caresse les cheveux d'Alma. L'époux d'Elisabet (Gunnar
Björnstrand) parle à Alma comme si elle était sa femme. Sans doute
l'image la plus célèbre de Persona,
avec les visages de Liv Ullmann et de Bibi Anderson de face et de
profil. Le visage des deux femmes en surimpression renvoyant à ceux
de la séquence pré-générique caressés par le garçon. L'un des
derniers plans du film montre une caméra sur une grue, tout cela
était le film cerveau d'Ingmar Bergman.
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