Deux
Tom Hardy pour le prix d'un, c'est ça la magie du cinéma. La
dernière fois que c'était arrivé, c'était Armie Hammer qui se
dédoublait pour jouer les jumeaux co-fondateurs de Facebook dans The
Social network de David Fincher. Et ça ne se voyait pas si on ne
le savait pas, Armie Hammer n'était à l'époque pas aussi connu que
Tom Hardy l'est aujourd'hui. Une certaine partie du public, les fans
de Tom Hardy en tout premier lieu, attendent ce rôle qui vient après
d'autres personnages forts joué par l'acteur, Bronson et sa
moustache, son solo dans Locke, son masque pour Bane et pour
Mad Max.
Tom
Hardy est forcément l'attraction majeure de Legend,
attraction comme on parlerait du Grand Huit dans une fête foraine.
Il incarne Reggie sans lunettes et Ronnie avec des lunettes, le
spectateur est certain de ne pas confondre les jumeaux Kray. Assez
vite, la différence de jeu est visible. Reggie est calme, très
souriant et pratique un humour mêlé d'ironie, comme lors de la
scène d'ouverture où il va offrir du thé aux deux policiers qui le
surveillent en permanence. Tom Hardy le joue comme un mec cool de la
pègre. Pour Ronnie, il force sur les mimiques du visage (cela m'a
fait penser au jeu de Channing Tatum pour son rôle bas de plafond
dans Foxcatcher), marmonnant ses répliques et portant à
chaque doigt, avec ostentation, des bagues.
Contrairement
aux Frères Krays de Peter Medak, Brian Helgeland fait
l'impasse sur l'enfance et la jeunesse des jumeaux. Le récit se
plonge directement dans les années 1960, dans le East End de
Londres. La voix off de Frances (Emily Browning), la femme de Reggie,
lance la narration. Son point de vue est dans la lignée de Sunset
Boulevard de Billy Wilder (elle s'en amuse d'ailleurs). Elle
permet d'avoir une vision de l'intérieur mais oblique, puisqu'elle
est régulièrement exclue des affaires de Reggie. Cela aurait été
tout aussi efficace avec Nipper (Christopher Eccleston) le policier
qui filent les frères, Payne (David Thewlis) leur avocat ou Teddy
(Taron Egerton) l'amant de Ronnie.
La
vie privée s'imbrique toujours avec le business de la pègre. La
mère de Frances voit d'un mauvais œil son mariage avec Reggie, mais
elle ne dit rien sur le fait que son fils Frank soit son chauffeur.
La mère viendra en noir au mariage. Entre deux séjours en prison de
Reggie, la pauvre Frances, qui aimerait que son mari se range des
voitures, dépérit à vue d’œil et se goinfre de pilules. Comme
ça ne se voit pas vraiment à l'écran, tous les autres personnages
sont obligés de lui dire qu'elle a une sale mine. Le summum arrivera
au bout de plus d'une heure de film quand la mère des jumeaux, qu'on
n'avait pas encore vue, se moque d'elle devant tout le monde.
Plus
romanesque, la vie de Ronnie est aussi plus caricaturale. En début
de film, il vit dans une caravane au milieu des bois. Il aime les
parties fines où il invite les gratin homosexuel des années 1960 à
consommer du jeune homme. Il a un ou deux amants Teddy et Leslie.
Taron Egerton, le jeune acteur de Kingsman services secrets,
comme Charley Palmer Rothwell se contentent de sourire narquoisement
à chaque coup fourré de leur maître, comme à ses excentricités.
Mais Tom Hardy, producteur du film, qu'on a connu moins pudique,
préférera les scènes de baston (toujours en beau costume) aux
embrassades amoureuses, ni Teddy, ni Frances n'auront droit au
moindre bisou. Certes, deux grands rôles mais au prix de trop
nombreuses concessions.
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