Sans
doute faut-il commencer par dire ce que n'est pas Les Délices de
Tokyo. Si l'on s'en tient à la bande-annonce malicieuse et
alléchante (que j'ai été obligé de regarder juste avant Le
Garçon et la bête), elle parle de la transmission du savoir
entre générations (un peu comme dans Le Festin chinois de
Tsui Hark) et elle évoque le passage au succès d'une pâtisserie
qui n'a guère de clients (lorgnant vers Tampopo de Juzo
Itami), elle suggère aussi une comédie légère (ce bon feel good
movie). Le film de Naomi Kawase est un peu tout seulement, mais
seulement dans ses vingt première minutes avant de bifurquer
ailleurs.
Sen
(Masatoshi Nagase) tient une petite échoppe où il fabrique des
dorayakis, des pâtisseries composées d'une pancake à base
de farine de riz tranché dans lequel il insère du an, de la
pâte de haricot rouge sucrée (miam). Ses très rares clients sont
des lycéennes. Les trois premières se moquent un peu de Sen, ses
dorayakis ne sont pas très goûteux, elles lui demandent de sourire,
ce qu'il ne fait pas. Quand elles sont parties, Wakana (Kyara Uchida)
une autre lycéenne, plus timide mais plus gentille, arrive. Sen lui
offre ses pancakes ratés, sans doute doit-elle être pauvre. Puis,
une vieille dame, par l'odeur alléchée vient proposer son aide.
Cette
vieille dame s'appelle Tokue (Kirin Kiki). Le sourire aux lèvres,
elle annonce qu'elle a 76 ans. Elle fait quelques petits gestes avec
ses mains que Naomi Kawase commence à filmer avec insistance,
surtout les difformités aux poignées. Tokue veut travailler pour
Sen. Il refuse. Elle revient le lendemain pour offrir à nouveau ses
services, pour salaire de misère. Il refuse, mais accepte de goûter
ses haricots rouges qui sont délicieux. Bref, je suis en train de
raconter ce que l'on voit dans la bande annonce. Sen et Tokue
commencent à faire de délicieux dorayakis. Ils se vendent et les
gens, alertés par l'écho de si bons mets, affluent.
Naomi
Kawase filme ce petit miracle de comédie tambour battant. Elle
observe en gros plan, caméra au plus près des visages, des marmites
et des haricots la fabrication de la recette de Tokue. On sera tout
des deux cuissons à l'eau puis de la cuisson au sucre et finalement
de l'ajout de sirop de glucose. Elle réussit à fictionnaliser ce
qui, dans ses films précédents, n'était montré que comme une
expérience de la nature. Cette nature qui entoure l'échoppe, des
beaux cerisiers en fleurs que Tokue regarde avec tout autant d'amour
que ses haricots rouges.
Mais
les clients vont un jour cesser de venir. La faute aux mains de Tokue
qui inquiètent certains clients. Ce sont des méchantes rumeurs,
affirme Sen à Tokue qui reste évasive sur le sujet. Ce sujet, c'est
tout à la fois la paranoïa des Japonais concernant une maladie rare
(la lèpre) dont a souffert Tokue, que cette passion pour les
produits aseptisés (emballage pour chaque dorayaki). Un jour que Sen
ne peut pas se lever, Tokue sert les clients. Ce sera la dernière
fois car le lendemain, plus personne ne vient. L'amitié entre les
trois solitaires ne s'en trouve que plus renforcée, seuls contre
tous.
Le
film tente de se relancer très mécaniquement avec l'arrivée de la
propriétaire de l'échoppe (elle se plaint de Tokue, elle veut que
Sen travaille avec son neveu neuneu), pure concession scénaristique.
Mais Naomi Kawase préfère parler de ses trois marginaux et sonder
leur cœur. Sen est alcoolique, il a une grosse dette d'argent, Tokue
commence à vivre et à découvrir le monde à 76 ans et cette
lycéenne a comme seul ami un canari. Ce sont trois solitudes qui
vont s'unir, discuter de la nature avec cet esprit new age que
la cinéaste aime tant. Le film est agréable, mais tout ce faisait
la saveur du cinéma de Naomi Kawase, son secret, sa pâte de
haricots rouges à elle, semble s'être dissous.
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