J'habite
à Grenoble depuis 25 ans. L'une des salles que j'ai le plus
fréquentée depuis que je vais voir des films est la Salle Juliet
Berto occupée à la fois par la Cinémathèque de Grenoble et le
Ciné-club de Grenoble dont j'ai été pendant dix ans un animateur.
Après toute une année de travaux (nécessaires, les sièges étaient
en plastic et cassaient le dos), une inauguration a eu lieu en avril
1998. Tous les films projetés étaient avec l'actrice Juliet Berto,
grenobloise de naissance. Pour la première fois, je voyais des films
de Jacques Rivette avec qui elle avait beaucoup tourné. Duelle
(1976) et Céline et Julie vont en bateau (1974) étaient au
programme. Pour faire la réclame autour de ce dernier film, je
disais qu'il faisait la même durée que Titanic (3h12) qui
venait juste de sortir. Si le film de James Cameron avait passionné
21 millions de spectateurs français, Céline et Julie vont en
bateau pouvait remplir notre salle de 200 places. Le film était
très drôle, très vif, bourré d'action. On y contait l'histoire de
deux filles un peu barrées qui avalaient des petites pilules qui les
emmenaient dans des mondes parallèles. Quand les frères Wachowski
ont sorti Matrix un an plus tard, nous étions quelques happy
few à savoir que le film de Jacques Rivette était l'une de leurs
influences principales.
Si
j'ai mis tant de temps à regarder des films de Jacques Rivette,
c'est sans doute à cause de leur réputation. Quelle réputation ?
D'abord celle de leur durée. Jeune étudiant, j'avais un ami très
proche qui était amoureux d'Emmanuelle Béart. « Quatre heures
avec elle nue, tu te rends compte, Jean ? » La Belle
noiseuse (1991) a sans doute été le plus grand succès public
du cinéaste, avec La Religieuse (1966). Le film a même été
nommé pour le César du meilleur film. Pas franchement une
consécration pour Jacques Rivette qui devait ne pas trop
s'intéresser à l'Académie des Césars, ne serait-ce que parce que
cela s'appelle l'académie. Sa deuxième réputation est justement de
ne pas faire de films académiques, c'est-à-dire qu'il se moquait
bien que chaque bouton de guêtre soit sur les costumes de ses
interprètes. Parmi ses films en costumes, Jeanne la pucelle
(1994) d'une durée totale de 6 heures cherchait à être fidèle à
une époque grise et poisseuse aussi éloignée que possible de
celles de Robert Bresson que de celle que fera trois ans plus tard
Luc Besson. Il procédait de la même manière avec Hurlevent
(1985), son adaptation du
roman d'Emily Brontë où le romantisme est mis à plat. Comme je
l'expliquais au sujet de Out 1 Noli me tangere, ce qui
passionne Jacques Rivette, ce sont les moments de creux plutôt que
les climax.
L'influence
de Jacques Rivette sur le cinéma contemporain est énorme, plus que
celles de Godard, Truffaut, Rohmer ou Chabrol réunis. Moins pour les
sujets qu'il a abordé dans ses quelque vingt films ou pour son
style, mais pour son mode de production. Les films de Rivette étaient
bons marché, il tournait avec une équipe réduite, il était fidèle
à ses techniciens et ses actrices. En ce sens, on peut dire que les
frères Larrieu, Bruno Dumont, Arnaud des Pallières, Alain Guiraudie
sont des cinéastes rivettiens. L'influence de Jacques Rivette sur la
critique française a aussi été fondamentale. Il commence à écrire
aux Cahiers du cinéma dès 1952. Il est l'auteur de peu de textes.
L'un des plus marquants en 1962 était titré De l'abjection
et parlait de Kapo de Gillo Pontecorvo. Ce texte où il
dénigrait qu'un travelling filme joliment une femme qui mourait
électrifiée en tentant de s'échapper d'un camp de concentration
est fondateur de toute une chapelle critique qui va de Serge Daney
(Cahiers du cinéma puis Libération), à Les Inrockuptibles,
Libération, Le Monde et bien-entendu les Cahiers du cinéma jusqu'à
aujourd'hui (il suffit de relire ce que ces publications disaient sur
La Liste de Schindler et Le Fils de Saul). L'un des
tous premiers textes de Jacques Rivette dans les Cahiers (N°23, mai
1953) sur Howard Hawks commençait ainsi : « L’évidence
est la marque du génie de Hawks. » Rien que pour ça, il
fallait lui rendre un hommage.
1 commentaire:
Superbe hommage que tu as écrit, Jean.
C'est simple, beau et juste.
J'espère que ça donnera envie aux lecteurs
de voir ses films.
Enregistrer un commentaire