Diffusé
cette semaine sur Arte, The Salvation hunters s'attache à
décrire le parcours d'un trio qui a rarement sa place, si ce n'est
chez Chaplin, dans le cinéma américain : des prolétaires.
Trois personnages dont on ne connaîtra jamais les prénoms, le gars
(George K. Arthur), la fille (Georgia Hale) puis le gamin (Bruce
Guerin) qui se rencontrent sur un port. Josef Von Sternberg prend
tout son temps pour planter le décor, pour montrer ce port où les
navires de drague ramasse la boue, où les carcasses des bateaux
flottent, où les mouettes et les chats mangent des restes des
poissons. Pour le cinéaste, qui signe son premier film, ce trio est
lui aussi échoué dans le port, sans travail, sans argent et sans
espoir. Il les appelle les « enfants de la boue » alors
qu'ils espèrent être les « enfants du soleil ».
Cette
longue séquence d'ouverture quasi documentaire désamorce la romance
qui aurait été mise en scène entre la gars et la fille dans
n'importe quel autre film. C'est tout juste s'ils vont devenir amis.
La fille traite la gars de lâche parce qu'il hésite à aller aider
le gamin orphelin quand il se fait houspiller par le contremaître de
la drague. Le gars ne réussit pas à se faire embaucher, belle scène
où il grimpe une échelle – sociale – vers un panneau qui
propose un boulot, panneau qui sera retiré dès son arrivée. La
misère semble les avoir vidé de leur énergie, ils restent la
plupart du temps les bras ballants ou croisés, le regard vide
regardant l'horizon ou assis en attendant des jours meilleurs. Ces
jours meilleurs ne se trouveront pas ici, sur cette drague infeste
qu'ils s'empressent de quitter pour la ville.
Dans
son autobiographie De Vienne à Shanghai (édité en 2001 dans
la Petite bibliothèque des Cahiers du cinéma), Josef Von Sternberg
explique (chapitre 8) que son budget (5000 $, soit 100 fois moindre
qu'un long-métrage hollywoodien) était tellement minuscule qu'il a
été obligé de tourner en décors naturels. Grand bien lui en a
pris, cela accentue le réalisme du film. Ainsi quand le trio se
retrouve en ville, il débarque dans un taudis où les meubles sont
réduits au strict minimum. La seule décoration sera un panneau sur
lequel est inscrit « God Bless Our Home », avec une
ironie mordante comme savait si bien la manier Josef Von Sternberg.
Il la prolongera dans le finale, cette fois à la campagne, où on
peut lire « Here your dreams come true » (ici vos rêves
prennent vie), alors que la situation dramatique atteint son
paroxysme.
Dans
la partie centrale du film, située dans ce taudis, mais aussi dans
les rues qui l'entourent (soit des immeubles délabrés du Chinatown
de Los Angeles), le trio est accueilli par un homme (Otto Matieson)
qui, contrairement à notre gars, est vêtu d'un beau costume. Il
héberge le trio dans l'espoir de pouvoir mettre la fille sur le
trottoir. Avec le personnage de la voisine (Nellie Bly Baker), on
comprend vers quelle plus grande déchéance la fille pourrait
dégringoler. Mais le trio ne se rend compte compte de rien. Le gars
rêve à une vie meilleure où il formerait une famille avec la fille
et la gamin et vivrait dans le luxe. Mais pour l'instant, le seul
repas qu'ils peuvent se permettre est composé d'un chewing-gum
qu'ils mâchent avec application. La plan final, emprunté aux
classiques Chaplin, se veut plus optimiste même si le spectateur
n'est pas dupe de cette happy end.
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