Trois
ans après le génial Shaolin soccer, Stephen Chow remettait ça dans
le tout aussi génial Crazy kung-fu. Nous somme à la fin des années
1930 à Shanghai (un lieu et une période adorée de Tsui Hark). On y
découvre le gang des haches (une arme vue dans chacun des films de
Stephen Chow, ici tout le temps présente), une armée de gangsters
qui fait régner la loi dans les rues et dans le commissariat. Le
chef du gang c'est Frère Sum (Danny Chan, celui qui interprétait le
gardien de but dans Shaolin soccer), qui avec ses fringues
classes – mais ses dents pourries – entend rester le maître de
Shanghai. Il exécute tous ceux qui sont en travers de son chemin.
Chow les filme comme dans un vieux film américain (disons pour
simplifier Scarface de Howard Hawks, ou un James Cagney).
Autre
lieu et autre milieu, celui de la Porcherie et sa pauvreté. La
Porcherie est, si l'on ose dire, une résidence tenue par la proprio
(Yuen Qiu) et son mari (Yuen Wah). Lui est faible et lâche, il
profite de sa position sociale pour abuser de la gentillesse des
locataires. Elle est grossière, toujours une clope au bec, elle tire
la gueule. C'est une maîtresse femme qui ne s'en laisse pas compter.
Ainsi quand Sing (Stephen Chow) et son comparse Bone (Lam Tze-chung)
arrivent dans la Porcherie en se faisant passer pour des membres du
gang des haches, elle file une raclée à Sing. Arrive alors pour de
vrai, le gang des haches. Il menace toute la communauté de la
Porcherie, notamment une mère et son enfant que Sum s'apprête à
immoler. Mais trois locataires s'avèrent être des experts en arts
martiaux et défont les gangsters. Dès lors, la Porcherie est en
grand danger.
La
grande idée de Stephen Chow de prendre son temps pour présenter les
locataires de la Porcherie. On est même étonné que son propre
personnage n'apparaisse qu'au bout d'une douzaine de minutes. Chow,
le réalisateur, laisse – provisoirement – Chow l'acteur de côté
pour mieux faire savourer sa galerie de personnages qui semblent tout
droit sortis d'un film italien : entre Miracle à Milan de
Vittorio de Sica et Affreux sales et méchants de Ettore
Scola. C'est magnifique de tendresse et de drôlerie. Il faut dire
que la galerie de gueules chez Stephen Chow a toujours été
jouissive. Le coiffeur qui montre la raie des fesses, le tailleur
homo, la bimbo aux dents de lapin. Tous concourent à rendre Crazy
kung-fu hilarant. La première partie du film leur est consacrée
avant que le personnage de Stephen Chow ne reprenne la place centrale
du récit.
L'abondance
de gags et de trouvailles est l'atout majeur du film. La poursuite
entre la proprio et Sing qui évoque un Tex Avery. Stephen Chow
propose un large panel de motifs de comédie : de la logorrhée
verbale au comique de situation en passant par les nombreux gags
visuels. L'humour fonctionne essentiellement grâce aux duos
d'acteurs : Sing et son gros comparses (deux tocards), les proprios
(qui cachent bien des choses), Sum et son lieutenant (la scène de la
voiture où Sum veut observer les musiciens est magnifique). Aucun
n'est réellement à sa place ce qui crée des glissements comiques
savoureux. Stephen Chow se soucie moins dans Crazy kung-fu du
personnage féminin qui pourrait lui fournir une histoire d'amour.
L'humour
ne vaudrait pas grand chose sans l'extrême rigueur esthétique du
film. Stephen Chow s'offre aussi un sublime moment de poésie avec
les deux musiciens aveugles venus tuer les gens de la Porcherie. Le
film regorge aussi de combats chorégraphiés par Yuen Woo-pinget
Sammo Hung. Ils sont autant de morceaux de bravoure. Stephen Chow
mélange allégrement les effets spéciaux et les combats à
l'ancienne. Les scènes sont d'une grande lisibilité, Chow
privilégiant les longs plans – parfois fixes, bien loin d'une mise
en scène épileptique. Ce qui passionne aussi est la volonté de
Stephen Chow de ne pas céder à la tentation du jeunisme et du
vedettariat à tout crin. Yuen Qiu, Yuen Wah et Bruce Leung n'étaient
pas à la mode dans le cinéma de Hong Kong. C'est aussi pour cela
que Crazy kung-fu est passionnant et différent.
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