jeudi 19 novembre 2015

La Bataille de la montagne du tigre (Tsui Hark, 2014)


Jusqu'alors, le cinéaste préférait situer ses récits dans le Shanghai des années 1930 (Shanghai Blues, The Raid) ou dans la période juste après la chute de l'Empire (Pekin Opera Blues) et parfois à la fin du 19ème siècle (Il était une fois en Chine). Avec La Bataille de la montagne du tigre, Tsui Hark installe pour la première fois son récit dans la guerre civile chinoise qui voit s'affronter l'ALP (Armée de Libération du Peuple, soit les partisans de Mao Tse-toung) et le KMT (Kuo Min Tang, les Nationalistes chinois, soit les soldats de Tchang Kai-chek). Le film est situé dans l'hiver 1946. Qui dit récit avec des camarades communistes, dit récit édifiant. Et tout l'intérêt du film de Tsui Hark est de le voir s'amuser à faire exploser les poncifs constitutifs du film de propagande.

A commencer par le héros, nommé pendant tout le film Capitaine 203 (Lin Gengxin) qui doit faire face à la faim grandissante de ses soldats. Les hommes ont beau être valeureux, le froid n'arrange pas les choses. Quand ils repèrent des soldats ennemis dans une gare, ils vont les cerner tout autant pour les défaire que pour se servir de leur ration de nourriture. La bouffe, c'est bien, mais pas aussi héroïque que les munitions dont ils s'emparent. Car un ordre de mission va bientôt arriver par train. Et deux nouveaux personnages bien plus hauts en couleur que le gentil 203. Yang Zirong (Zhang Hanyu) est un homme dans la trentaine, avec un sourire narquois qui déplaît beaucoup à 203. Il est accompagné de Bai, une infirmière. Ce qui va plaire aux soldats, c'est surtout que Yang est venu avec de quoi manger.

Assez vite, les méthodes de Yang, tout comme sa popularité au sein du groupe, vont s'opposer à 203, mais Tsui Hark préfère donner à Yang le rang de personnage principal. Son charisme la pousse à partir affronter seul le terrible Hawk (Tony Leung Ka-fai), seigneur de guerre qui vit dans une fort militaire construit jadis par l'armée japonaise. 203 voudrait faire les choses dans les règles de l'art de la guerre, et on l'a vu défaire les ennemis dans la deuxième séquence. (La première séquence se situe de nos jours pour valoriser youku, l'un des producteurs du film). Mais il doit se rendre compte qu'aller avec 30 hommes attaquer Hawk, qui en a 3000, n'est pas judicieux. Yang a un plan pour s'infiltrer chez Hawk, il veut offrir le plan des postes avancés en se faisant passer pour un ennemi de l'ALP.

L'idée absolument géniale dans La Bataille de la montagne du tigre est de soigner tout particulièrement le personnage du méchant et de retarder le plus possible son arrivée. Tony Leung Ka-fai s'en donne à cœur joie dans son personnage dont on ne découvrira pas immédiatement le visage (l'acteur est méconnaissable). Comme dans un film d'horreur classique, Tsui Hark suggère d'abord tout l'ignominie du personnage. On avait vu ses mercenaires massacrer le village masqués de peau de bête, on avait découvert les sorts qu'il réserve à ceux qui n'ont pas la bonne idée de le servir idéalement (nus, ils sont aspergés d'eau qui les fait se geler sur place, d'autres sont attachés dehors comme s'ils étaient des chiens), on va découvrir comment il gère son petit monde.

Avant son apparition, il faut que Yang passe par quelques étapes. Ce sont les lieutenants de Yang qui entourent l'homme dans un accueil peu cordial. Ils se considèrent comme des frères, dans la grande tradition des triades. On imagine que Grand Frère est le premier à avoir rejoint Hawk et que Frère 8 est le plus récent. Ce sont leurs accoutrements, (tatouages, tenues excentriques), tout autant que leurs comportements (caprices, impulsivité et langage fleuri) qui déterminent ces personnages. Assez vite Yang se fait un ennemi, Frère 5 qui cherche constamment à lui tendre des pièges. Il trouve cependant un soutien. Et tout le film tient dans le suspense de ces pièges que Yang se fait un malin plaisir de déjouer. Il découvre aussi une femme que l'on croit vénéneuse mais qui est la prisonnière de Hawk.

Depuis Zu les guerriers de la montagne magique, Tsui Hark cherche, élabore et fignole ses effets spéciaux. La Bataille de la montagne du tigre a été tourné pour être vu en 3D. Il filme les balles qui volent et le sang qui gicle dans la neige dans les deux premières batailles. Rien de bien neuf mais c'est très efficace. Plus amusante est l'attaque par un tigre en pleine forêt. Yang doit faire preuve de souplesse digne d'un artiste martial qui défierait les lois de la gravitation. Le morceau de bravoure est constitué par la longue bataille qui donne son titre au film. Tsui Hark se paie même le luxe de tourner deux fins à son film, l'une conforme aux faits réels (peut mieux faire), l'autre époustouflante (la fiction est toujours meilleure que la réalité). Quand le spectacle est constant, le spectateur est content (proverbe cantonais).

Captures d'écran effectuées à partir du DVD Metropolitan.















1 commentaire:

Jacques Boudinot a dit…

Tout à fait, c'est un formidable film d'aventures, populaire
dans le sens noble, qui acceptent tous les publics et leur
procure, je crois, un égal plaisir.
Le méchant est une franche réussite, et son entrée retardée
dans le film une source de jubilation supplémentaire.
Un regret : n'avoir pas pu le voir en 3D. Ce n'est pas courant.
Une émerveillement : Tsui Hark continue toujours à avoir
autant d'idées, de trouvailles inédites, comme au début de
sa carrière. Un modèle d'enthousiasme et
d'amour du septième art.