A
ma gauche, Le Fils de Saul film hongrois du jeune Laszlo Nemes
dont c'est le premier long-métrage, primé à Cannes et succès
public. A ma droite, Francofonia film franco-germano-suisse du
russe Alexandre Sokourov, vieux briscard qui a affronté Lénine,
Hitler ou Hiro Hito dans ses films. Chacun utilise le format 1:37
dans ces films (faussement nommé 4/3), du début à la fin dans Le
Fils de Saul et partiellement dans Francofonia. Le format
1:37 n'est plus beaucoup utilisé au cinéma où l'on préfère les
formats larges (et les télévisions se sont adaptés à ce fameux
format 16/9) mais il est celui qui a prédominé dans les salles
jusqu'à l'invention du cinémascope au milieu des années 1950.
Revenir à ce format pour ces deux films revient à les ancrer dans
leur époque, la deuxième guerre mondiale.
Laszlo
Nemes suit Saul, prisonnier hongrois qui sert d'esclave dans le camp
d'extermination d'Auschwitz. Sous la férule des soldats nazis, il
travaille à la solution finale. La caméra, portée à l'épaule, le
suit constamment. Le spectateur est dans ses pas sans possibilité de
dévier de son regard, obligé de regarder ce qu'il voit dans ce
cadre carré aux angles arrondis qui limite le champ de vision. Très
souvent Saul se retourne, l’œil vague devant toute cette horreur
accumulée. Qui plus est, seul Saul est net, le fond est toujours
flou dans un film à la forme claire. L'image est légèrement sépia,
dénaturant les couleurs, ce qui donne l'impression de voir des
images d'époque. La méthodologie des nazies est documentée (et non
documentaire), en ce sens qu'historiquement tout est véridique, à
défaut d'être nécessaire pour poursuivre le récit du film, soit
l'enterrement du fils de Saul selon les rites juifs.
Dans
Francofonia, la documentation est moins rigoureuse. Le film
d'Alexandre Sokourov suit la rencontre de Jacques Jaujard et du Comte
Wolff-Metternich après la capitulation de la France. L'officier
allemand doit s'occuper de gérer les musées français. Les deux
acteurs choisis pour les incarner sont filmés dans un format 1:37
avec, sur la gauche, la bande sonore qui défile. La narrateur est le
cinéaste lui-même qui regarde ces images qui apparaissent sur
l'écran de cinéma de la même manière que sur une table de
montage. Alexandre Sokourov discute d'ailleurs avec ses deux
personnages, leur adressant la parole (lui en russe, les deux autres
en français), supprimant tout effet documentaire pour s'avancer vers
une douce rêverie. Seulement voilà, le discours du cinéaste russe
est résolument réactionnaire faisant une analogie entre le triomphe
de la guerre et celui de l'art.
Alexandre
Sokourov accentue encore sa volonté de ne pas laisser le spectateur
s'immerger tranquillement dans son film en explosant son récit
(Marianne et Napoléon qui radotent, un cargo plein d’œuvres d'art
qui va couler) tandis que Laszlo Nemes délaisse les couloirs de la
mort pour risquer un film à suspense. Francofonia accentue la
perte de sens dans sa cacophonie sonore digne des films de Godard de
la période suisse, Alexandre Sokourov parle off pendant tout le
film, la musique douce devient obsédante, les voix se chevauchent.
Le Fils de Saul adopte le parti-pris inverse pour cueillir son
spectateur dans un effet de redoutable sidération. Pas une note de
musique mais à la place un terrifiant amalgame de cris et
hurlements, ordres en allemand, machines sourdes mixées en
quadriphonie contredisant le format d'époque puisque le son des
années 1940 était mono. Le Fils de Saul devient une
attraction foraine insupportable tandis que Francofonia sera
aussi éloigné d'Une visite au Louvre que de Monuments
men.
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