« Tu
ne dois pas t’identifier à la victime, tu dois t’identifier au tueur »,
dit le chef des flics à l’inspecteur Cassie Mayweather (Sandra Bullock) qui est
en train d’enquêter sur « Emilie », appelant la victime par son prénom.
Le nom des gens est une des choses importantes dans Calculs meurtriers, dernier film hollywoodien à ce jour de Barbet
Schroeder (j’espère que ce ne sera pas le dernier). Cassie a deux autre noms
qui cachent volontairement sa personnalité à son nouveau collègue, le candide
et distingué flic de la mondaine Sam Kennedy (Ben Chaplin). Ses collègues
l’appellent « la hyène », avec une rare élégance, Cassie explique que
comme l’animal charognard, elle un vagin qui ressemble à une bite. Cassie a
aussi un vrai nom, Jessica Marie Hudson, son nom d’épouse, comme on l’apprend
en cours de film. Son époux la battait tant qu’il a failli la tuer. Elle doit
maintenant témoigner pour une éventuelle libération sur parole. Cela explique
qu’elle refuse de se mettre à nu, au sens propre quand elle couche avec Sam
(elle est couverte de plaies), comme au sens figuré : il lui faudra du
temps pour comprendre que l’enquête qu’elle mène est proche de ce passé qu’elle
a enfoui mais que Barbet Schroeder choisit de raconter dans un flash-back
fordien, c’est-à-dire par l’unique pouvoir de suggestion du dialogue de Cassie
que l’on peut raccorder aux quelques images de cette femme ensanglantée vue
plus tôt.
Cette
enquête donc. Une femme assassinée au bord d’une rivière. Elle a été étranglée,
un doigt a été coupé, elle est allongée dans un sac plastic. Assez vite, Sam
Kennedy et le chef des flics, tout comme le procureur, conclut que tout cela
est l’œuvre d’un sérial killer. Parfait, l’affaire est vite emballée. Si on ne
trouve pas d’empreinte digitale, on découvre un poil de singe et un fil de tapis,
assez pour mener directement au concierge du lycée, par ailleurs dealer de
drogue pour les ados du coin. Cassie trouve que tout cela est mené un peu trop
rondement. Et elle a bien raison puisque depuis le début du film, on sait qui
sont les auteurs du meurtre. Comme dans Le
Génie du mal et Swoon, Calculs meurtriers reprend l’idée du duo
de lycéens fortunés, en l’occurrence Richard Haywood (Ryan Gosling) et Justin
(Michael Pitt). Le premier est le beau gosse du lycée, paresseux et fumeur mais
dont les parents sont très riches. On l’appelle d’ailleurs Richie Rich, alors
qu’on aurait pu le surnommer Dickie d’autant qu’il tient souvent un flingue
dans la main, symbole phallique s’il en est. Le second est un petit intello à
lunettes timide qui cultive des orchidées (ça change des oiseaux empaillés). Le
film commence par Justin en classe qui lit sa dissertation sur le Mal. Il feint
devant ses camarades et la terre entière d’être l’ennemi de Richard. Le
spectateur en sera persuadé aussi jusqu’à la découverte de cette étreinte dans
une maison abandonnée et ce portrait fusionnel d’eux.
Si
l’on sait que Richard et Justin ont commis un meurtre, on ignore tout de la
chronologie précise. Ce sera à Cassie et Sam Kennedy de nous dévoiler tout
cela, de refaire le puzzle avec toutes les pièces éparpillées par les deux ados
avec leur esprit vicieux caché derrière des visages d’ange. Barbet Schroeder a
toujours le chic de nous montrer des personnages dont le sens moral semblent
toujours au dessus de la loi du commun des mortels. Non seulement ils agissent
pour leur propre morale mais en plus refusent d’en rendre compte. C’est le
général Amin Dada, c’est l’avocat du Mystère
Von Bülow, c’est Michael Keaton dans L’Enjeu
ou les deux alcooliques dans Barfly.
Pour une fois, le duo de démiurges a face à lui un autre duo, Cassie et Sam.
Tout fonctionne par deux, jusqu’à ce qu’un élément tiers viennent tout
perturber et enrayer la machine. Cassie et Sam sont perturbés par l’ancien mari
de Cassie, Justin et Richard par la jeune femme qui se met entre eux (grosse
scène de jalousie de Richard), le chef des flics et le procureur sont embêtés
par l’entêtement de Cassie. Cet élément tiers permet justement de dévoiler ce
qui était brouillé, il aide à trouver la pièce du puzzle qui manquait à
l’ensemble. Calculs meurtriers est le
film de Barbet Schroeder le plus ludique de ce point de vue.
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