vendredi 10 février 2017

Prick up your ears (Stephen Frears, 1987)

My beautiful laundrette se terminait sur l'épanouissement d'un amour, Prick up your ears commence par le meurtre de Joe Orton (Gary Oldman) par son amant Ken (Alfred Molina). Le premier plan est un regard caméra de Ken, ensanglanté, hagard, il tourne légèrement les yeux. Le petit appartement, lieu central du film, est dans l'obscurité. Puis, on frappe à la porte, c'est la propriétaire accompagnée de la police. On observe par la serrure, par le bâillement de la boite aux lettres. On défonce la porte et on découvre Joe et Ken morts.

Puisque les deux personnages principaux de Prick up your ears sont annoncés morts dès le début, Stephen Frears lance un long flash-back narré par Peggy (Vanessa Redgrave) à un auteur (Wallace Shawn) venu faire une biographie de Joe Orton. Peggy était, 20 ans plus tôt (jusqu'en 1967 donc), l'agent littéraire de Joe. Il est surtout connu pour la pièce Loot (« butin ») qui se joue justement à guichet fermé quand commence le flash-back. Tandis que Joe et Ken se rendent au vernissage d'une exposition de ce dernier, ils passent devant le théâtre.

Cette première séquence de la vie artistique des deux hommes, avant de revenir au début des années 1950, montre quels sont les rapports entre eux. Joe est un auteur adulé, à succès qui reçoit des conseils d'amis de Peggy pour qu'il quitte enfin ce grincheux et ce raté de Ken qui ne réussit à vendre aucune toile (des collages d'images de magazines populaires). Une femme viendra lui dire qu'elle trouve les œuvres affreuses. Ken se présente à ce moment-là comme l'assistant personnel de Joe et engueule la petite vieille en criant qu'il lave les slips sales de son amant.

Le vernissage à peine fini, ils rentrent chez eux et dans le métro Joe fait de l’œil à un jeune mec. Ken continue son chemin sachant très bien ce qu'il va faire, en l'occurrence on entend la braguette descendre et Joe esquisser un très large sourire. Le film est coupé régulièrement par des scènes de 1987 où Peggy précise pour l'écrivain certains aspects de la vie de Joe, ici qu'il avait beaucoup de coups d'un soir, surtout dans des lieux sordides, couloirs de métro, toilettes publiques. Toute cette frénésie sexuelle, Stephen Frears la montrera sans pudeur ni voyeurisme.

Jusqu'alors Peggy vérifiait si son récit ne choquait pas l'écrivain. Ce dernier réclamait à lire le journal intime de Joe. Or Peggy affirmait ne pas l'avoir retrouvé. Mais dans la séquence d'ouverture, on voyait qu'elle le récupérait. Elle peut maintenant le confier et c'est ainsi que commence la vie de John Orton, avant qu'il ne devienne Joe, avant qu'il ne rencontre Ken. Il vivait après guerre dans une petite ville de province de l'Angleterre. La famille est modeste et la maman de John le destine à devenir un agent de la fonction publique.

Son destin change quand il décide de devenir comédien. Ses parents sont opposés à ce choix de vie de saltimbanque, mais un membre de l'Académie Royale veut l'engager. Il auditionne en jouant un bout de Peter Pan dans une interprétation hallucinante. Stephen Frears filme cette audition sur scène, à côté de l'acteur, puis filme celle de Ken en prenant le point de vue du jury, Ken est vu de loin, il est terne et les commentaires des jurés ne sont pas tendres avec lui. C'est ainsi qu'ils se rencontrent dans ce cours de théâtre, tous les deux apprentis comédiens.

Je ne vais pas raconter le récit foisonnant des 15 ans de vie commune de Ken et Joe. Joe flirte avec une petite blonde avant de se laisser séduire par Ken. Ce dernier habille Joe avec des vêtements de mauvaise qualité (ça lui va mieux dit-il) et Joe adoptera une casquette de cuir et des jeans aux ourlets retournés. Ken invite Joe chez lui et il couchent ensemble, avec une belle ironie, le jour de l'intronisation de la Reine Elizabeth II qu'ils regardent à la télévision. « C'est ma première fois » dit Joe, « la première que je regarde la télévision. »

Prick up your ears est un film physique, leurs corps sont tellement opposés, la jeunesse éternelle de Joe, la calvitie précoce de Ken. Le contraste est encore plus fort du point de vue artistique. Au départ, Ken était promis à un bel avenir d'écrivain puis la courbe s'inverse et Joe atteint le succès. Après un séjour en prison pour homosexualité, Joe va voler de ses propres ailes et écrire tout seul. A la fois son journal intime (Joe regrette que Ken ne le lise jamais en secret) et ses pièces de théâtre. Et cette idée que Joe ne soit plus sa marionnette devient de plus en plus insupportable à Ken. Jusqu'à cette fin tragique.

























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