My
beautiful laundrette se terminait sur l'épanouissement d'un
amour, Prick up your ears commence par le meurtre de Joe Orton
(Gary Oldman) par son amant Ken (Alfred Molina). Le premier plan est
un regard caméra de Ken, ensanglanté, hagard, il tourne légèrement
les yeux. Le petit appartement, lieu central du film, est dans
l'obscurité. Puis, on frappe à la porte, c'est la propriétaire
accompagnée de la police. On observe par la serrure, par le
bâillement de la boite aux lettres. On défonce la porte et on
découvre Joe et Ken morts.
Puisque
les deux personnages principaux de Prick up your ears sont
annoncés morts dès le début, Stephen Frears lance un long
flash-back narré par Peggy (Vanessa Redgrave) à un auteur (Wallace
Shawn) venu faire une biographie de Joe Orton. Peggy était, 20 ans
plus tôt (jusqu'en 1967 donc), l'agent littéraire de Joe. Il est
surtout connu pour la pièce Loot (« butin ») qui se joue
justement à guichet fermé quand commence le flash-back. Tandis que
Joe et Ken se rendent au vernissage d'une exposition de ce dernier,
ils passent devant le théâtre.
Cette
première séquence de la vie artistique des deux hommes, avant de
revenir au début des années 1950, montre quels sont les rapports
entre eux. Joe est un auteur adulé, à succès qui reçoit des
conseils d'amis de Peggy pour qu'il quitte enfin ce grincheux et ce
raté de Ken qui ne réussit à vendre aucune toile (des collages
d'images de magazines populaires). Une femme viendra lui dire qu'elle
trouve les œuvres affreuses. Ken se présente à ce moment-là comme
l'assistant personnel de Joe et engueule la petite vieille en criant
qu'il lave les slips sales de son amant.
Le
vernissage à peine fini, ils rentrent chez eux et dans le métro Joe
fait de l’œil à un jeune mec. Ken continue son chemin sachant
très bien ce qu'il va faire, en l'occurrence on entend la braguette
descendre et Joe esquisser un très large sourire. Le film est coupé
régulièrement par des scènes de 1987 où Peggy précise pour
l'écrivain certains aspects de la vie de Joe, ici qu'il avait
beaucoup de coups d'un soir, surtout dans des lieux sordides,
couloirs de métro, toilettes publiques. Toute cette frénésie
sexuelle, Stephen Frears la montrera sans pudeur ni voyeurisme.
Jusqu'alors
Peggy vérifiait si son récit ne choquait pas l'écrivain. Ce
dernier réclamait à lire le journal intime de Joe. Or Peggy
affirmait ne pas l'avoir retrouvé. Mais dans la séquence
d'ouverture, on voyait qu'elle le récupérait. Elle peut maintenant
le confier et c'est ainsi que commence la vie de John Orton, avant
qu'il ne devienne Joe, avant qu'il ne rencontre Ken. Il vivait après
guerre dans une petite ville de province de l'Angleterre. La famille
est modeste et la maman de John le destine à devenir un agent de la
fonction publique.
Son
destin change quand il décide de devenir comédien. Ses parents sont
opposés à ce choix de vie de saltimbanque, mais un membre de
l'Académie Royale veut l'engager. Il auditionne en jouant un bout de
Peter Pan dans une interprétation hallucinante. Stephen Frears filme
cette audition sur scène, à côté de l'acteur, puis filme celle de
Ken en prenant le point de vue du jury, Ken est vu de loin, il est
terne et les commentaires des jurés ne sont pas tendres avec lui.
C'est ainsi qu'ils se rencontrent dans ce cours de théâtre, tous
les deux apprentis comédiens.
Je
ne vais pas raconter le récit foisonnant des 15 ans de vie commune
de Ken et Joe. Joe flirte avec une petite blonde avant de se laisser
séduire par Ken. Ce dernier habille Joe avec des vêtements de
mauvaise qualité (ça lui va mieux dit-il) et Joe adoptera une
casquette de cuir et des jeans aux ourlets retournés. Ken invite Joe
chez lui et il couchent ensemble, avec une belle ironie, le jour de
l'intronisation de la Reine Elizabeth II qu'ils regardent à la
télévision. « C'est ma première fois » dit Joe, « la
première que je regarde la télévision. »
Prick
up your ears est un film physique, leurs corps sont tellement
opposés, la jeunesse éternelle de Joe, la calvitie précoce de Ken.
Le contraste est encore plus fort du point de vue artistique. Au
départ, Ken était promis à un bel avenir d'écrivain puis la
courbe s'inverse et Joe atteint le succès. Après un séjour en
prison pour homosexualité, Joe va voler de ses propres ailes et
écrire tout seul. A la fois son journal intime (Joe regrette que Ken
ne le lise jamais en secret) et ses pièces de théâtre. Et cette
idée que Joe ne soit plus sa marionnette devient de plus en plus
insupportable à Ken. Jusqu'à cette fin tragique.
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