C'est
le chef d'œuvre de Leo McCarey et il commence un beau jour de
printemps de 1908 à Paris. Le valet Ruggles (Charles Laughton),
comme tous les matins réveille son maître, le comte de Burnstead
(Roland Young). Il ouvre les rideaux, apporte le petit déjeuner, le
sert. Mais une question du comte titille sa curiosité. Il parle
d'aventure et de départ. Ruggles va vite comprendre que ce matin-là
n'est pas comme les autres, son employeur a joué la veille au poker
avec des Américains et il a perdu son valet. Et parce qu'il est très
obéissant (il est un valet anglais de génération en génération
au service de cette famille depuis des lustres) et qu'il n'a pas
l'idée de remettre en cause ceci, il part chez les Américains.
Mais
s'il ne dit rien et ne proteste pas, le regard de Ruggles en dit
long. Charles Laughton écarquille les yeux et se demande ce qui lui
tombe dessus. En l'occurrence, il débarque chez les Floud. Lui,
Helbert (Charles Ruggles) ne porte que des costumes à carreau et
porte une grosse moustache. Elle, Effie (Mary Bowland) ne rêve que
de brûler les costumes de son mari et se prend pour une Lady, elle
est absolument ravie d'avoir à son service un valet anglais. Ils
viennent de Red Gap, un patelin du fin fonds de l'Etat de Washington.
Enfin, elle pourra briller en société. Les habitudes serviles de
Ruggles n'ont en revanche aucun effet sur Helbert qui ne comprend pas
que le valet ne veuille pas entrer dans la pièce avant son nouveau
employeur.
La
partie parisienne de L'Extravagant M. Ruggles est follement
amusante. Madame Floud ordonne à Ruggles d'accompagner Monsieur
Floud au musée, car il adore ça. Tu parles, Helbert va siroter de
la bière au café et entraîne avec lui Ruggles, qui n'a jamais bu
une seule goutte d'alcool de sa vie, et quand le duo rencontre un
vieil ami de Red Gap, ils passent tout leur après-midi à boire et à
tenter, bien maladroitement, de causer en français. Ils ne font
qu'effrayer les Parisiens. Pendant ce temps, Effie attend ses hommes
qui rentrent totalement soûls. Pour la première fois, Ruggles
esquisse un sourire et se permet quelques facéties, notamment en
criant comme Helbert un petit « Yeeha », typique du
cow-boy américain. Il se débride mais, sobre le lendemain matin, a
bien honte et prend tout sur lui pour protéger Helbert de sa mégère.
La
deuxième partie du film se lance dès le voyage en train vers Red
Gap. On en apprend un peu plus sur les Floud. Effie a un beau-frère
qui vient de Boston, de la côte est, Charles Belknap-Jackson (Lucien
Littlefield) est accusé par Helbert d'être un snob venu piquer la
fortune de sa belle-mère Ma Pettingill (Maude Eburne). Chaque époux
a sa vision. Helbert le prend pour un coureur de dot et Effie le voit
comme un homme distingué. Elle subit son influence et s'est
persuadée que Ruggles apporterait de la distinction à son foyer et
la reconnaissance de l'élite de Red Gap. Assez vite, dès que
Charles commence à donner des ordres à Ruggles, on se rend compte
de son caractère hautain, de son mépris et de sa morgue. Mais
Helbert a prévenu Ruggles et lui demande d'être libre comme un
Américain.
L'un
des comiques de répétition du film de Leo McCarey est la manière
dont le langage prend forme. Celui de Ruggles est précieux, concis,
typically British, celui de Helbert est instinctif, imagé,
purement redneck. Monsieur Floud surnomme Ruggles « Bill »
et lui donne du « Colonel » dès qu'il le présente à
ses amis. La deuxième partie de L'Extravagant M. Ruggles est
sous le régime du quiproquo. Tout le monde commence à le prendre
pour un Lord anglais et Ruggles se prend au jeu. Un journaliste vient
même faire un article sur lui. Là, on apprend son prénom :
Marmaduke. Helbert l'enjoint à venir aux fêtes de Nell Kenner
(Leila Hyams), jeune femme qui n'a que faire des apparats si chers à
Madame Floud. Et, tel l'écho du spectateur devant tant de
quiproquos, Ma Pettingill éclate de rire des déconvenues d'Effie.
Lors
de cette fête, Ruggles rencontre Prunella Judson (ZaSu Pitts), jeune
veuve. Dès lors, il ne veut plus quitter Red Gap. La troisième
partie s'axe autour du discours de Gettysburg d'Abraham Lincoln. S'il
avait été donné seul par Ruggles pour défendre sa cause quand le
beau-frère le renvoie et lui demande de retourner en Angleterre, il
ne serait qu'une scène démagogique du film. Mais il est précédé
de l'ignorance tous les clients, des citoyens américains, qui ont
oublié le sens de cet acte fondateur de leur pays et suivi d'un
sonore « c'est ma tournée » du patron du saloon. En
l'entourant ainsi, Leo McCarey dégoupille le caractère édifiant du
discours et le fait éclater en feu d'artifice de comédie, à
l'image de tout le film où les contrastes se répondent et se
complètent.
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