jeudi 16 février 2017

L'Extravagant M. Ruggles (Leo McCarey, 1934)

C'est le chef d'œuvre de Leo McCarey et il commence un beau jour de printemps de 1908 à Paris. Le valet Ruggles (Charles Laughton), comme tous les matins réveille son maître, le comte de Burnstead (Roland Young). Il ouvre les rideaux, apporte le petit déjeuner, le sert. Mais une question du comte titille sa curiosité. Il parle d'aventure et de départ. Ruggles va vite comprendre que ce matin-là n'est pas comme les autres, son employeur a joué la veille au poker avec des Américains et il a perdu son valet. Et parce qu'il est très obéissant (il est un valet anglais de génération en génération au service de cette famille depuis des lustres) et qu'il n'a pas l'idée de remettre en cause ceci, il part chez les Américains.

Mais s'il ne dit rien et ne proteste pas, le regard de Ruggles en dit long. Charles Laughton écarquille les yeux et se demande ce qui lui tombe dessus. En l'occurrence, il débarque chez les Floud. Lui, Helbert (Charles Ruggles) ne porte que des costumes à carreau et porte une grosse moustache. Elle, Effie (Mary Bowland) ne rêve que de brûler les costumes de son mari et se prend pour une Lady, elle est absolument ravie d'avoir à son service un valet anglais. Ils viennent de Red Gap, un patelin du fin fonds de l'Etat de Washington. Enfin, elle pourra briller en société. Les habitudes serviles de Ruggles n'ont en revanche aucun effet sur Helbert qui ne comprend pas que le valet ne veuille pas entrer dans la pièce avant son nouveau employeur.

La partie parisienne de L'Extravagant M. Ruggles est follement amusante. Madame Floud ordonne à Ruggles d'accompagner Monsieur Floud au musée, car il adore ça. Tu parles, Helbert va siroter de la bière au café et entraîne avec lui Ruggles, qui n'a jamais bu une seule goutte d'alcool de sa vie, et quand le duo rencontre un vieil ami de Red Gap, ils passent tout leur après-midi à boire et à tenter, bien maladroitement, de causer en français. Ils ne font qu'effrayer les Parisiens. Pendant ce temps, Effie attend ses hommes qui rentrent totalement soûls. Pour la première fois, Ruggles esquisse un sourire et se permet quelques facéties, notamment en criant comme Helbert un petit « Yeeha », typique du cow-boy américain. Il se débride mais, sobre le lendemain matin, a bien honte et prend tout sur lui pour protéger Helbert de sa mégère.

La deuxième partie du film se lance dès le voyage en train vers Red Gap. On en apprend un peu plus sur les Floud. Effie a un beau-frère qui vient de Boston, de la côte est, Charles Belknap-Jackson (Lucien Littlefield) est accusé par Helbert d'être un snob venu piquer la fortune de sa belle-mère Ma Pettingill (Maude Eburne). Chaque époux a sa vision. Helbert le prend pour un coureur de dot et Effie le voit comme un homme distingué. Elle subit son influence et s'est persuadée que Ruggles apporterait de la distinction à son foyer et la reconnaissance de l'élite de Red Gap. Assez vite, dès que Charles commence à donner des ordres à Ruggles, on se rend compte de son caractère hautain, de son mépris et de sa morgue. Mais Helbert a prévenu Ruggles et lui demande d'être libre comme un Américain.

L'un des comiques de répétition du film de Leo McCarey est la manière dont le langage prend forme. Celui de Ruggles est précieux, concis, typically British, celui de Helbert est instinctif, imagé, purement redneck. Monsieur Floud surnomme Ruggles « Bill » et lui donne du « Colonel » dès qu'il le présente à ses amis. La deuxième partie de L'Extravagant M. Ruggles est sous le régime du quiproquo. Tout le monde commence à le prendre pour un Lord anglais et Ruggles se prend au jeu. Un journaliste vient même faire un article sur lui. Là, on apprend son prénom : Marmaduke. Helbert l'enjoint à venir aux fêtes de Nell Kenner (Leila Hyams), jeune femme qui n'a que faire des apparats si chers à Madame Floud. Et, tel l'écho du spectateur devant tant de quiproquos, Ma Pettingill éclate de rire des déconvenues d'Effie.

Lors de cette fête, Ruggles rencontre Prunella Judson (ZaSu Pitts), jeune veuve. Dès lors, il ne veut plus quitter Red Gap. La troisième partie s'axe autour du discours de Gettysburg d'Abraham Lincoln. S'il avait été donné seul par Ruggles pour défendre sa cause quand le beau-frère le renvoie et lui demande de retourner en Angleterre, il ne serait qu'une scène démagogique du film. Mais il est précédé de l'ignorance tous les clients, des citoyens américains, qui ont oublié le sens de cet acte fondateur de leur pays et suivi d'un sonore « c'est ma tournée » du patron du saloon. En l'entourant ainsi, Leo McCarey dégoupille le caractère édifiant du discours et le fait éclater en feu d'artifice de comédie, à l'image de tout le film où les contrastes se répondent et se complètent.

























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