J'ai
cru comprendre que les profs d'espagnol qui ont emmené leurs élèves
voir Neruda au cinéma n'étaient pas très contents du film,
pas assez de récit édifiant, peu de démonstration de la poésie du
Chilien et trop de grotesque. Sans doute quelques enseignants
(d'histoire ou d'anglais) pousseront d'autres collégiens à aller
voir Jackie, le nouveau film de Pablo Larrain, avec sans doute
un résultat décontenancent identique. Parce que Neruda et
Jackie, c'est le même film sauf que c'est l'inverse.
Pas
de voix off d'un policier qui poursuit Neruda, mais un journaliste
(Billy Crudup) vient faire un article sur Madame Kennedy (Natalie
Portman). Désormais veuve, elle vit dans une immense demeure du
Massachusetts, Etat dont venait JFK. Le champ contre-champ semble
classique, il pose des questions, elle répond, mais la caméra est
pile en face de leur visage respectif, donc du spectateur. Ce regard
caméra tourne vite à l'affrontement entre le reporter et Jackie
Kennedy.
Le
premier veut écrire une histoire, la deuxième veut raconter sa
légende. Elle désire avoir un droit de regard sur le contenu de
l'article et pendant tout le film, elle va s'échiner à raconter sa
version des faits, non sans une certaine arrogance qui vire parfois à
l'antipathie (un peu comme Neruda était montré comme un homme
grossier) quand le journaliste fait preuve de sarcasme. Jackie est
très loin de l'hagiographie du biopic, ce serait plutôt un
contre-portrait.
On
retrouve tout ce que l'on connaît de l'imagerie : les élégants
tailleurs de la First Lady, ses chapeaux ronds assortis et son petit
sourire, et tout le récit tourne autour de l'assassinat de Kennedy
le 22 novembre 1963, moins de trois ans après son arrivée à la
Maison Blanche. Et cette belle veste rose, cette jupe sont tâchées
de sang. Le sang qui gicle de la tête de John Kennedy. Pablo Larrain
ne montre pas immédiatement la scène, parce que Jackie ne se la
rappelle pas.
Dans
J. Edgar de Clint Eastwood, l'une des scènes les plus
cruelles est quand le patron du FBI annonce la mort de Kennedy à son
frère Bobby qui était alors Ministre de la Justice « Monsieur
le Ministre, le Président est mort » avant de raccrocher
abruptement. Dans Jackie, Bobby Kennedy (Peter Sasgaard) est
le personnage masculin le plus présent. C'est à qu'incombe la
lourde tâche d'accueillir Jackie à Washington, de retour de Dallas.
Les
scènes post assassinat sont terribles et paradoxalement d'une
extrême douceur, portées par des envolées de violons et autres
instruments à cordes d'un sinistre accompli. Jackie dans un miroir
enlève le sang de son visage, Jackie est assise dans l'avion
derrière le cercueil de JFK, Jackie assiste dans l'avion au serment
de Lyndon Johnson sous les sourires de la nouvelle First Lady, enfin
Jackie et Bobby sont dans l'ambulance de chaque côté du cercueil.
Bobby
aide Jackie a régler l'enterrement. Ils doivent affronter la mère
de JFK qui veut inhumer son rejeton dans le caveau familial. Jackie
veut une cérémonie aussi grandiose que celle de Lincoln. Ses
soutiens sont divers, sa gouvernante (Greta Gerwing, toute en
retenue), l'aide de camp (Richard E. Grant, sérieux comme un pape)
et son prêtre (John Hurt, dans un de ses derniers rôles). Chaque
fois, Jackie parle d'elle à ces personnages, se confesse, en apprend
sur sa vie de manière détournée.
Ce
sont des allers et retours incessants entre le passé et le présent
(l'interview), la douleur (la cérémonie des funérailles
nationales), les débuts (l'émission télé où elle est mal à
l'aise), l'affirmation de son pouvoir (la recherche du lieu où JFK
sera inhumé), l'humiliation (Madame Johnson change la tapisserie
avant même que Jackie n'ait quitté la Maison Blanche). Et j'insiste
encore, avec la douceur violente et douloureuse des gens en deuil qui
n'arrivent pas à s'en remettre.
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