vendredi 3 février 2017

Jackie (Pablo Larrain, 2016)

J'ai cru comprendre que les profs d'espagnol qui ont emmené leurs élèves voir Neruda au cinéma n'étaient pas très contents du film, pas assez de récit édifiant, peu de démonstration de la poésie du Chilien et trop de grotesque. Sans doute quelques enseignants (d'histoire ou d'anglais) pousseront d'autres collégiens à aller voir Jackie, le nouveau film de Pablo Larrain, avec sans doute un résultat décontenancent identique. Parce que Neruda et Jackie, c'est le même film sauf que c'est l'inverse.

Pas de voix off d'un policier qui poursuit Neruda, mais un journaliste (Billy Crudup) vient faire un article sur Madame Kennedy (Natalie Portman). Désormais veuve, elle vit dans une immense demeure du Massachusetts, Etat dont venait JFK. Le champ contre-champ semble classique, il pose des questions, elle répond, mais la caméra est pile en face de leur visage respectif, donc du spectateur. Ce regard caméra tourne vite à l'affrontement entre le reporter et Jackie Kennedy.

Le premier veut écrire une histoire, la deuxième veut raconter sa légende. Elle désire avoir un droit de regard sur le contenu de l'article et pendant tout le film, elle va s'échiner à raconter sa version des faits, non sans une certaine arrogance qui vire parfois à l'antipathie (un peu comme Neruda était montré comme un homme grossier) quand le journaliste fait preuve de sarcasme. Jackie est très loin de l'hagiographie du biopic, ce serait plutôt un contre-portrait.

On retrouve tout ce que l'on connaît de l'imagerie : les élégants tailleurs de la First Lady, ses chapeaux ronds assortis et son petit sourire, et tout le récit tourne autour de l'assassinat de Kennedy le 22 novembre 1963, moins de trois ans après son arrivée à la Maison Blanche. Et cette belle veste rose, cette jupe sont tâchées de sang. Le sang qui gicle de la tête de John Kennedy. Pablo Larrain ne montre pas immédiatement la scène, parce que Jackie ne se la rappelle pas.

Dans J. Edgar de Clint Eastwood, l'une des scènes les plus cruelles est quand le patron du FBI annonce la mort de Kennedy à son frère Bobby qui était alors Ministre de la Justice « Monsieur le Ministre, le Président est mort » avant de raccrocher abruptement. Dans Jackie, Bobby Kennedy (Peter Sasgaard) est le personnage masculin le plus présent. C'est à qu'incombe la lourde tâche d'accueillir Jackie à Washington, de retour de Dallas.

Les scènes post assassinat sont terribles et paradoxalement d'une extrême douceur, portées par des envolées de violons et autres instruments à cordes d'un sinistre accompli. Jackie dans un miroir enlève le sang de son visage, Jackie est assise dans l'avion derrière le cercueil de JFK, Jackie assiste dans l'avion au serment de Lyndon Johnson sous les sourires de la nouvelle First Lady, enfin Jackie et Bobby sont dans l'ambulance de chaque côté du cercueil.

Bobby aide Jackie a régler l'enterrement. Ils doivent affronter la mère de JFK qui veut inhumer son rejeton dans le caveau familial. Jackie veut une cérémonie aussi grandiose que celle de Lincoln. Ses soutiens sont divers, sa gouvernante (Greta Gerwing, toute en retenue), l'aide de camp (Richard E. Grant, sérieux comme un pape) et son prêtre (John Hurt, dans un de ses derniers rôles). Chaque fois, Jackie parle d'elle à ces personnages, se confesse, en apprend sur sa vie de manière détournée.

Ce sont des allers et retours incessants entre le passé et le présent (l'interview), la douleur (la cérémonie des funérailles nationales), les débuts (l'émission télé où elle est mal à l'aise), l'affirmation de son pouvoir (la recherche du lieu où JFK sera inhumé), l'humiliation (Madame Johnson change la tapisserie avant même que Jackie n'ait quitté la Maison Blanche). Et j'insiste encore, avec la douceur violente et douloureuse des gens en deuil qui n'arrivent pas à s'en remettre.

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