Découvrir
les enregistrements de Charles Bukowski par Barbet Schroeder juste
après avoir vu Barfly, cela permet de constater à quel point
la reproduction de la voix de l'écrivain par Mickey Rourke était
d'une grande précision et d'une grande justesse. Jamais l'acteur
n'imitait Bukowski, il en dépeçait les éléments les plus
signifiants pour composer son personnage de vieil ivrogne et fier de
l'être.
Cette
série de 50 émissions de 3 minutes chacune tournée par Barbet
Schroeder ont été produites par FR3 et Les Films du Losange en
1984. Elles commencent et finissent toutes par un court générique
« Charles Bukowski par Barbet Schroder » et elles sont
désormais visibles sur le DVD édité par Carlotta titré The
Bukowski tapes. C'est une image ingrate, aussi moche que sera
l'appartement de Henry dans Barfly.
Jusqu'à
présent, je n'avais vu l'écrivain américain causer que dans la
catastrophique émission de Bernard Pivot où, soûl comme un cochon,
il éructait sous le sourire amusé du présentateur ravi de son bon
coup médiatique. C'était en 1978. Devant la caméra de Barbet
Schroeder, Bukowski explique qu'il déteste les talk-shows, qu'il
hait la télévision et qu'il refuse de participer à ces émissions.
« Autant bouffer son propre vomi », dit-il.
Barbet
lance parfois une question et l'écrivain répond, clope ou cigare au
bec, bière ou verre de vin à la main. Filmé en gros plan, la
caméra s'éloigne progressivement pour le filmer en plan américain.
Il est dans son jardin, dans son living-room, de jour, de nuit,
parfois accompagné de sa compagne Linda King (qu'il insulte
copieusement « you, fuckin' shit » avant de tenter de la
gifler). « Les femmes essaient toutes de me manipuler ».
Ce
Los Angeles qu'il a fréquenté et que Barbet a reproduit dans Barfly
n'existe plus selon Bukowski. Les meilleurs bars ont fermé, « les
putes, les macs noirs et la musique » sont désormais absents.
Son quartier favori, celui où il allait s'enfermer des heures d'un
bar à un autre était dans Hollywood Western. Avec un grand sourire,
à l'arrière d'une décapotable, il commente chaque immeuble et
maison du quartier. Il reconnaît ses amis ivrognes.
Il
raconte son enfance malheureuse, il va visiter la maison de ses
parents, la « maison de la torture » où son père le
battait. C'est sans doute ce qui l'a mené à avoir cette « haine
des conventions » et à « s'autoriser à faire ce qu'il
veut ». Il développe au long de ce roboratif entretien la
théorie de sa sagesse qui « consiste à faire ce que la foule
refuse », à toujours prendre le contre-pied des autres, c'est
en cela que Bukowski est un personnage à part entière du cinéma de
Barbet Schroeder.
Dans
l'un de ces courts entretiens, Charles Bukowski parle de Wanda, la
femme qui sera un temps sa compagne et qui sera jouée par Faye
Dunaway dans Barfly. Il évoque leur dispute mais finit par
confesser que c'était une femme formidable. Au milieu de la noirceur
de l'écrivain, les bribes drôlatiques abondent. Je crois que Barbet
Schroeder a accompli ici un travail inédit de collection de pensées
et visions pour sa fiction.
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