L'Avocat
de la terreur est l'un des
meilleurs films de Barbet Schroeder, son documentaire sur un démiurge
des plus troublant, sur un homme au destin tellement plus fort que la
réalité que l'on croirait que c'est une fiction, totalement
invraisemblable par certains aspects. Jacques Vergès le rappelle
lui-même, avec le sourire qui lui traversait le visage, qu'il
n'aurait jamais dû devenir cet avocat célèbre, lui le fils d'un
Réunionnais et d'une Vietnamienne, lui l'enfant colonisé par
l'Empire Français né en 1925.
La
vie aurait dû être différente pour Jacques et son jumeau Paul, qui
a très longtemps été député du Parti communiste réunionnais,
mais ils sont entrés dans la Résistance à 17 ans et Jacques Vergès
affirme ne jamais l'avoir quittée. Face caméra, il annonce qu'il
est de la France de Montaigne et Diderot, pas celle des colonies. Dès
le début de L'Avocat de la
terreur, on retrouve des
leaders des anciennes colonies, Khieu Samphan au Cambodge, Bachir
Boumaza en Algérie, les deux pôles de la vie de l'avocat.
La
première partie est une histoire d'amour, une pure romance dont
Jacques Vergès se fait le narrateur gourmand, assis dans son immense
bureau encombré de tableaux, de vieux meubles, de statuettes de
Bouddha, en fumant son cigare, il raconte ses débuts au barreau et
le lancement de sa longue carrière d'avocat qui se constitue en
Algérie où il défend les membres du FLN. Histoire d'amour non
seulement avec les peuples colonisés mais aussi avec Djamila
Bouhired, torturée par les militaires et qui deviendra sa femme.
Djamila
est la grande absente du film. Quand Barbet Schroeder emmène Jacques
Vergès en Algérie en 2006, il rencontre plusieurs anciennes membres
du FLN, toutes des femmes, dans une séquence où ils visitent la
prison dans laquelle elles étaient enfermées et torturées. Mais
Djamila n'est pas là, elle ne parle plus à son ancien époux,
également père de ses enfants, et pour cause, Jacques Vergès,
plutôt que rester simple avocat à Alger après l'indépendance,
disparaît corps et bien pendant huit ans entre 1970 et 1978.
Que
faire d'un personnage qui disparaît pendant si longtemps et qui
refuse de dire quoi que ce soit à sa sujet, tout simplement faire un
polar qui prend la forme d'une enquête contradictoire, c'est ce à
quoi s'emploie Barbet Schroeder dans sa deuxième partie. Le mystère
ne fait que s'épaissir au fil des témoins, le dessinateur Siné,
ses amis algériens, cambodgiens ou palestiniens, un journaliste, des
anciens collègues. Tous échafaudent des récits dans ces pays et un
personnage peu respectable vient faire une apparition, François
Genoud un nazi suisse.
Ce
mystère est délicieusement entretenu par l'avocat, il fonctionne
comme Smoking No smoking
d'Alain Resnais, ou bien j'étais ici, ou bien je n'étais pas là. A
ce jour, personne ne sait ce qu'il a bien pu faire pendant ces huit
ans avant de devenir l'avocat médiatique des années 1980 défendant
les terroristes de tous horizons, Klaus Barbie et des dictateurs.
Cette troisième partie se transforme en film d'horreur avec son
défilé de personnalités patibulaires. « Est-ce que je
défendrais Hitler ? Je défendrais même Bush »
lance-t-il avec malice au cinéaste comme conclusion.
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