L'Enjeu
clôt une décennie de films sur de dangereux criminels qui
manipulent les forces de police, commencée avec Le Silence des
agneaux de Jonathan Demme (1991) continuée avec Seven de
David Fincher (1995) et Face / Off de John Woo (1997). Quand
Peter McCabe (Michael Keaton) reçoit pour la première fois la
visite du flic Frank Conner (Andy Garcia) dans une prison de haute
sécurité de San Francisco, attaché sur une chaise par des lanières
de cuit, mains menottées dans le dos, il est impossible de ne pas
penser à Hannibal Lecter.
McCabe
n'a pas besoin de le dire, il ne parle pas tout seul, ne le confesse
à personne, mais il élabore minutieusement un plan d'évasion, non
pas de la prison mais de l'hôpital où le policier l'invite à
passer une journée. Matt, le fils de Frank âgé de 9 ans, a besoin
d'une greffe de moelle osseuse pour l'aider à guérir son cancer et
seul Peter McCabe est donneur compatible. Avant d'accéder à la
demande de Frank, Peter exige un assouplissement de ses conditions de
détention. Ainsi, il pourra non seulement fumer dans sa cellule mais
se rendre à la bibliothèque.
L'idée
principale de Barbet Schroeder est de mettre en scène tous les
préparatifs de cette évasion à partir du néant, il montre comment
un homme sans rien, à la cellule vide, regorge d'inventivité pour
se préparer. Le prisonnier ne manquait déjà pas de ressources pour
faire de la musculation avec son t-shirt et un sac rempli d'eau
remplaçant les haltères. L'une des scènes les plus marquantes est
celle où il se démembre le pouce (ce qui servira plus tard), preuve
de son obstination pour poursuivre son idée fixe, presque son rêve
américain.
Ce
qui frappe dans L'Enjeu, de prime abord, c'est l'énorme
différence de jeu entre les deux acteurs. Michael Keaton ne joue pas
le psychopathe cinglé, au contraire il ne s'exprime que par son
corps, Barbet Schroeder découpe le physique de l'acteur tel un
anatomiste, ses mains, son visage, comme pour annoncer l'opération
chirurgicale à venir. C'est d'abord un corps entravé par les
chaînes, les menottes, les liens, surveillés par les matons et les
flics, paraissant compatissant au sort du petit Matt, qui une fois
défait de ses liens va mener la danse.
Dans
cet affrontement jouant l'unité de temps, lieu et action, Andy
Garcia joue donc à l'opposé un personnage totalement hystérique,
nerveux et anxieux, et le paradoxe est que c'est McCabe qui récolte
la sympathie du public. Quand ce dernier devient le metteur en scène
en prenant le contrôle des caméras de surveillance (l'un des motifs
essentiel du film), un mouvement de balance se met en place, comme si
chacun d'eux avait greffé une part de personnalité de l'autre et
comme si Barbet Schroeder avait réalisé une synthèse de cette
décennie de criminels psychopathes et flics déchaînés.
L'espace
dans lequel les personnages évoluent marque la progression des
rapports entre eux. La prison avec ses murs blancs, ses pièces vides
se reflètent dans ceux de l'hôpital, lieu dénué de tout humanisme
où s'affrontent le médecin de Matt (Marcy Gay Harden), qui doit
garder en vie Matt, au patron de la police (Brian Cox) qui demande
combien il faut de morts pour sauver un enfant. Cet espace blanc et
clinique n'est séparé d'un vieux bâtiment où se calfeutre McCabe
que par une passerelle, épreuve ultime pour Conner et symbole de sa
transformation tout en rendant un hommage appuyé à Vertigo.
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