mardi 27 juin 2017

La Vierge des tueurs (Barbet Schroeder, 1999)

« On s'est beaucoup civilisés pendant mon absence ». 30 ans que Fernando (German Jaramillo) avait quitté Medellin et le voilà de retour dans sa ville natale. Sa première visite, il la fait dans l'appartement cossu d'un de ses anciens amis, une partie fine est organisée (on reconnaît Barbet Schroeder, figurant le temps d'un plan), des hommes plutôt âgés se tapent des petits jeunes. Ce bon ami de Fernando lui présente immédiatement Alexis (Anderson Ballesteros), 16 ans. Ils filent dans une chambre, Fernando lui demande de se déshabiller, il sort de son pantalon un flingue, Barbet Schroeder enfile la métaphore flingue = sexe avec allégresse.

Fernando et Alexis ne se quitteront plus. Le sexagénaire, un écrivain, l'invite chez lui. Contrairement à l'appartement de la scène d'ouverture, celui-ci est vide. Pas du tout réplique Fernando à son jeune amant, il y a une table et quatre chaises dans le salon et un lit pour baiser dans la chambre. Alexis veut une chaîne hi-fi, c'est parti pour acheter une chaîne hi-fi. Il écoutera du rock assourdissant. Fernando balancera la chaîne hi-fi de la terrasse qui surplombe tout Medellin, vue imprenable sur la ville. Tiens, un feu d'artifices. C'est ainsi que les narco trafiquants célèbrent une expédition réussie de cocaïne aux USA.

Du haut de l'immeuble au plancher des vaches, couché dans le lit avec Alexis et en promenade dans les rues de la ville, la part documentaire de La Vierge des tueurs tient une place importante. Barbet Schroeder a été, en 1999, l'un des premiers cinéastes à filmer en numérique (cela se voyait alors beaucoup à l'image). Cet équipement léger lui permet de circuler avec une certaine tranquillité dans Medellin, d'aller dans les quartiers sur les collines, des bidonvilles où les taxis n'osent pas se rendre, dans les églises que visite le couple, plus occupées par des accrocs au crack que par des fidèles, de se rendre dans des restaurants.

Tourné vers un passé qu'il ne reconnaît pas, Fernando abreuve Alexis d'anecdotes sur sa ville sur un ton professoral. En rigolant, le jeune homme boit les paroles du vieil écrivain et ce dernier boit la gnôle versée de la bouche d'Alexis. Tout a changé, avant ici il n'y avait aucune lumière, là se trouvait son restaurant préféré, ailleurs une église dans laquelle il n'est jamais entré. Fernando découvre chaque coin de rue comme la première fois, il découvre la violence galopante, il voit des enfants qui sniffent de la colle, des pauvres qui mendient et, à la télé, le président de la Colombie qui fait des promesses électorales. Fernando l'insulte copieusement par écran interposé.

Le film passe de l'humour caustique à la violence sourde. Ces fameux taxis colombiens ont tous la même habitude, foutre la musique à fond. Fernando demande à baisser le son, le chauffeur s'énerve. Le cinéaste filme ces trajets en taxi comme des gags récurrents, jusqu'à ce que Alexis sorte son revolver et flingue le chauffeur insolent. Le jeune homme dégaine sans réfléchir et Fernando lui reproche son impulsivité avant d'accepter ses meurtres. Mais quand il s'agit d'achever un pauvre chien blessé, Alexis fait preuve d'une soudaine réserve, il en est incapable. Plus que les hommes abattus, c'est ce retournement qui fait froid dans le dos.

Si Fernando accepte que Alexis tue, c'est parce qu'il est lui-même en quête de la mort. Barbet Schroeder multiplie les images funestes, les personnages secondaires aux surnoms symboliques de La Plaga (le fléau), El Funeste (le revenant), celui qui annonce à Alexis sa mort prochaine, recherché qu'il est par des gangs rivaux de bidonvilles voisins du sien. Le discours nihiliste de Fernando se fait plus fort à chaque séquence, il critique les hommes « les tuer, c'est les délivrer, tu aurais dû les laisser vivre leur vie de merde », il conspue Dieu à chaque réplique, ce qui en fait un personnage dans la droite ligne de ceux des autres films du cinéaste, des hommes au dessus de la morale.

Je crois que si Barbet Schroeder a choisi de tourner à Medellin, c'est parce que la ville se prononce presque comme Madeleine. Dans sa dernière partie, La Vierge des tueurs rend un hommage évident à Vertigo. Comme chez Alfred Hitchcock, Fernando subit la mort de l'être aimé et un sosie d'Alexis, telle Madeleine, vient le remplacer. Ce nouvel amant, rencontré au coin d'une rue, est Wilmar (Juan David Restrepo). Le film semble alors recommencer, Wilmar agit comme Alexis (l'appartement vide, la chaîne hi-fi, tuer pour un rien), mais le récit s'emballe, se précipite, se cristallise dans un désespoir mortifère glaçant et sans complaisance.























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