« On
s'est beaucoup civilisés pendant mon absence ». 30 ans que
Fernando (German Jaramillo) avait quitté Medellin et le voilà de
retour dans sa ville natale. Sa première visite, il la fait dans
l'appartement cossu d'un de ses anciens amis, une partie fine est
organisée (on reconnaît Barbet Schroeder, figurant le temps d'un
plan), des hommes plutôt âgés se tapent des petits jeunes. Ce bon
ami de Fernando lui présente immédiatement Alexis (Anderson
Ballesteros), 16 ans. Ils filent dans une chambre, Fernando lui
demande de se déshabiller, il sort de son pantalon un flingue,
Barbet Schroeder enfile la métaphore flingue = sexe avec allégresse.
Fernando
et Alexis ne se quitteront plus. Le sexagénaire, un écrivain,
l'invite chez lui. Contrairement à l'appartement de la scène
d'ouverture, celui-ci est vide. Pas du tout réplique Fernando à son
jeune amant, il y a une table et quatre chaises dans le salon et un
lit pour baiser dans la chambre. Alexis veut une chaîne hi-fi, c'est
parti pour acheter une chaîne hi-fi. Il écoutera du rock
assourdissant. Fernando balancera la chaîne hi-fi de la terrasse qui
surplombe tout Medellin, vue imprenable sur la ville. Tiens, un feu
d'artifices. C'est ainsi que les narco trafiquants célèbrent une
expédition réussie de cocaïne aux USA.
Du
haut de l'immeuble au plancher des vaches, couché dans le lit avec
Alexis et en promenade dans les rues de la ville, la part
documentaire de La Vierge des tueurs tient une place
importante. Barbet Schroeder a été, en 1999, l'un des premiers
cinéastes à filmer en numérique (cela se voyait alors beaucoup à
l'image). Cet équipement léger lui permet de circuler avec une
certaine tranquillité dans Medellin, d'aller dans les quartiers sur
les collines, des bidonvilles où les taxis n'osent pas se rendre,
dans les églises que visite le couple, plus occupées par des
accrocs au crack que par des fidèles, de se rendre dans des
restaurants.
Tourné
vers un passé qu'il ne reconnaît pas, Fernando abreuve Alexis
d'anecdotes sur sa ville sur un ton professoral. En rigolant, le
jeune homme boit les paroles du vieil écrivain et ce dernier boit la
gnôle versée de la bouche d'Alexis. Tout a changé, avant ici il
n'y avait aucune lumière, là se trouvait son restaurant préféré,
ailleurs une église dans laquelle il n'est jamais entré. Fernando
découvre chaque coin de rue comme la première fois, il découvre la
violence galopante, il voit des enfants qui sniffent de la colle, des
pauvres qui mendient et, à la télé, le président de la Colombie
qui fait des promesses électorales. Fernando l'insulte copieusement
par écran interposé.
Le
film passe de l'humour caustique à la violence sourde. Ces fameux
taxis colombiens ont tous la même habitude, foutre la musique à
fond. Fernando demande à baisser le son, le chauffeur s'énerve. Le
cinéaste filme ces trajets en taxi comme des gags récurrents,
jusqu'à ce que Alexis sorte son revolver et flingue le chauffeur
insolent. Le jeune homme dégaine sans réfléchir et Fernando lui
reproche son impulsivité avant d'accepter ses meurtres. Mais quand
il s'agit d'achever un pauvre chien blessé, Alexis fait preuve d'une
soudaine réserve, il en est incapable. Plus que les hommes abattus,
c'est ce retournement qui fait froid dans le dos.
Si
Fernando accepte que Alexis tue, c'est parce qu'il est lui-même en
quête de la mort. Barbet Schroeder multiplie les images funestes,
les personnages secondaires aux surnoms symboliques de La Plaga (le
fléau), El Funeste (le revenant), celui qui annonce à Alexis sa
mort prochaine, recherché qu'il est par des gangs rivaux de
bidonvilles voisins du sien. Le discours nihiliste de Fernando se
fait plus fort à chaque séquence, il critique les hommes « les
tuer, c'est les délivrer, tu aurais dû les laisser vivre leur vie
de merde », il conspue Dieu à chaque réplique, ce qui en fait
un personnage dans la droite ligne de ceux des autres films du
cinéaste, des hommes au dessus de la morale.
Je
crois que si Barbet Schroeder a choisi de tourner à Medellin, c'est
parce que la ville se prononce presque comme Madeleine. Dans sa
dernière partie, La Vierge des tueurs rend un hommage évident
à Vertigo. Comme chez Alfred Hitchcock, Fernando subit la
mort de l'être aimé et un sosie d'Alexis, telle Madeleine, vient le
remplacer. Ce nouvel amant, rencontré au coin d'une rue, est Wilmar
(Juan
David Restrepo). Le film semble alors recommencer, Wilmar agit comme
Alexis (l'appartement vide, la chaîne hi-fi, tuer pour un rien),
mais le récit s'emballe, se précipite, se cristallise dans un
désespoir mortifère glaçant et sans complaisance.
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