L'ephemerol
est un produit qui, une fois injecté par une piqûre dans la paume
de main, permet au patient de calmer le mal qui le ronge. Ce mal est
la télépathie, ces patients sont des mutants que le Dr. Ruth
(Patrick McGoohan) nomme des scanners : ils scannent les pensées
des personnes qui se trouvent en face d'eux. Ce bon médecin barbu,
digne héritier du Mabuse de Fritz Lang, traque dans un centre
commercial Cameron Vale (Stephen Lack) que David Cronenberg prend un
certain plaisir à présenter comme un clochard, titubant dans ses
fringues sales à la recherche d'un hamburger laissé là. Il est
observée par deux dames bien propres sur elles quand l'une d'elles
est prise de spasme, de migraine atroce dès que Cameron pose les
yeux sur elle.
C'est
qu'il ignore qu'il est un scanner et le Dr. Ruth va lui faire la
démonstration de ce que cela veut dire. Dans un grenier, Cameron,
aux vêtements désormais blancs comme neige, histoire de marquer sa
virginité quant au scanning, attaché sur un lit, voit arriver deux
douzaines de personnes. On les entend parler mais leurs lèvres ne
bougent pas. La cacophonie se fait plus intense à mesure de
l'arrivée de ces personnes qui s'assoient sur des chaises comme si
elles allaient assister à un spectacle. Pour Cameron c'est une
torture. David Cronenberg filme cette séance de scanning en
surimpression, le visage angoissé et déformé de Cameron se
superpose à cette assemblée. Jusqu'à ce que Ruth mette fin à la
séance en injectant de l'ephemerol à son scanner.
Ailleurs,
une autre assemblée d'hommes en costumes cravates, un séminaire de
la firme ConSec. Le décor est tout à fait à l'opposé, des
fauteuils rouges qui annoncent le sang qui va gicler dès que Daryl
Revok (Michael Ironside) entre en scène. Il va montrer l'autre
pouvoir d'un scanner, celui que Cameron Vale n'a pas pu expérimenter
au centre commercial comme au grenier. Michael Ironside a le génie
pour donner à son visage, dont on remarque une cicatrice entre les
yeux, une forme monstrueuse avant que la tête du modérateur du
séminaire n'explose dans une débauche gore, de sang éjaculé de la
pauvre victime. La scène est culte mais l'effet spécial
rudimentaire, David Cronenberg ne compte que sur le jeu de son
acteur, expressionniste et gothique, maniéré et magnifique, chaque
scène avec Michael Ironside est un moment d'anthologie.
L'un
des enjeux de Scanners est de savoir si le cerveau humain peut
être plus fort qu'un ordinateur à la technologie complexe. Ce qui à
l'image donne Cameron Vale qui tente, par un simple téléphone
public, d'attaquer l'ordinateur de la firme. Soit en champ
contre-champ, le visage grimaçant de l'acteur face à des plans en
macro des microprocesseurs, une entrée à l'intérieur du cerveau de
l'ordinateur quand David Cronenberg se contente de filmer la surface
de Cameron, alternant avec le visage angoissé de Kim Obrist
(Jennifer O'Neil). Cette dernière est aussi une ennemie de la firme
ConSec, une sorte de guide des mutants scanners qu'elle aide à
échapper au massacre de Keller (Lawrence Dane), le sbire de la
firme. Kim trouve refuge dans des vieux immeubles, on remarquera
d'ailleurs que David Cronenberg a tourné à Montréal, on distingue
de nombreuses enseignes en français.
Ce
combat est suivi de celui entre Cameron Vale et Daryl Revok
s'affrontant à grand renfort de mimiques et grimaces, là les
visages sont déformés par des veines apparentes d'où coulent
quelques flots de sang. L'ambition, démesurée et partiellement
réussie, de David Cronenberg dans Scanners est de filmer le
cerveau au travail (ça annonce déjà pas mal Le Festin nu et
eXistenZ). Surtout, en prenant soin de ne pas élaborer son
film autour des effets spéciaux (il utilise au minimum l'ordinateur
aux lettres vertes), il parvient à éviter cet aspect qui forcément
date un film (je pense aux X-Men de Bryan Singer et à ses
mutants proches de Scanners). D'une certaine manière, c'est
le combat de l'artisan du Canada face aux grosses machines
sophistiquées de Hollywood.
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