« Ceci
était mon corps », cette simple phrase qui lance le long
monologue en voix off de l'ouverture du Mystère Von Bülow
vient, non pas d'un mort comme dans Sunset Boulevard, mais
d'une femme dans le coma. Sunny Von Bülow (Glenn Close) se présente
au spectateur mais il en sait déjà beaucoup grâce à l'incroyable
plan séquence qui affleure la côte du Rhode Island où les demeures
plus somptueuses et luxueuses les unes que les autres se succèdent.
Bienvenue dans l'aristocratie de la Nouvelle Angleterre, bienvenue
dans l'univers des Von Bülow.
Sunny
le précise, elle est dans cette chambre d'hôpital, gardée par un
policier, depuis le 21 décembre 1980, depuis qu'elle s'est écroulée
dans sa salle de bains et que son époux Claus Von Bülow (Jeremy
Irons) l'a découverte un matin. Avec son flegme tout britannique,
Claus est d'abord aller alerter Alexander (Jad Mager), son beau-fils,
né d'un premier mariage mondain de Sunny avec un noble allemand. Le
fils a appelé une ambulance. Voilà pourquoi Sunny est là, dit-elle
sur un ton détaché, non dénué d'ironie qui détonne et fait même
sourire malgré la gravité de la situation.
Entre
le 21 décembre 1980 et aujourd'hui quand se déroule le récit,
Claus a été condamné à 30 ans de prison. Assez vite, son
beau-fils et sa grande sœur Ala (Sarah Fearon), avec le témoignage
de Maria (Uta Hagen), la très dévouée bonne de Sunny, ont accusé
Claus. En cause, un flacon d'insuline trouvée dans une sacoche
noire. « But my lady is not diabetic », affirme Maria
dans un des récurrents flash-backs qui scandent le film. Elle le
réaffirme devant les juges. Mais depuis, Claus clame son innocence
et a payé une forte caution pour son procès en appel.
C'est
le début d'un duo de personnages les plus opposés possible. Claus
Von Bülow est immense, légèrement dégarni sur l'arrière du
crâne, blond, pâle, toujours tiré à quatre épingles, cigarette à
la main, et Jeremy Irons est absolument génial dans ce rôle qui lui
a valu un Oscar. Face à lui, un avocat d'Harvard, Alan Dershowitz
(Ron Silver), new-yorkais pur jus, fan de basket, séparé de sa
femme, vivant avec son fils dans une modeste maison, moustachu,
cheveux bruns bouclés. Impulsif quand Claus est toujours calme,
c'est cet homme qui va devenir son nouvel avocat.
Ses
amis, ses élèves, son fils, son ex-femme ne comprennent pas
pourquoi Dersh, comme tout le monde l'appelle, va défendre ce
bourgeois si loin de ses cas habituels, il défendaient deux jeunes
Noirs condamnés à mort. Lors de leur première rencontre dans son
appartement à la déco chargée, Claus lui dira qu'il a toujours eu
en estime le peuple juif, manière de se dédouaner des affinités
nazies de ses parents, plus tard Dersh dira à son client « Vous
êtes vraiment un homme étrange », et Claus Von Bülow de
répliquer « Vous n'avez pas idée ».
Barbet
Schroeder, en cinéaste européen à Hollywood, a l'excellente idée
de ne pas filmer le procès, genre typiquement américain plein de
codes et de rituels. Il se concentre sur les préparatifs du procès,
suit pas à pas l'équipe d'étudiants de Dersh, une douzaine de
futurs avocats issus du melting pot. L'arrivée de Claus au milieu de
cette troupe est l'occasion d'un humour noir dans un restaurant
chinois ou dans la maison de l'avocat qui prend des allures de
colonie de vacances. Claus se permet quelques blagues devant
lesquelles l'équipe rit jaune.
Cette
reconstitution de l'affaire Von Bülow est polyphonique, une
merveille de mise en scène en gigogne, en points de vue variés et
contradictoires, flash-back et flash-forward, suppositions et
convictions. Sans, bien entendu, donner un avis sur la culpabilité
de notre homme. La souveraine et subtile fluidité narrative du
Mystère Von Bülow, je ne l'avais pas repérée quand j'avais
vu le film pour la première fois, il y a de cela des années,
aujourd'hui elle m'a frappé de plein fouet et je crois que c'est
l'un des meilleurs films de Barbet Schroeder.
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