jeudi 20 juillet 2017

eXistenZ (David Cronenberg, 1999)

« Death to the demoness, Allegra Geller », c'est par cet appel à la mort que commence eXistenZ, comme un écho à celui de la fin de Videodrome, deux films partageant une même brièveté mais une intense densité narrative et dont David Cronenberg est le scénariste. Allegra Geller (Jennifer Jason Leigh), jeune blonde timide, est la créatrice d'un jeu de réalité parallèle (le terme convient mieux que celui de réalité virtuelle) tout simplement appelé eXistenZ, e minuscule, X et Z majuscules comme le présente l'animateur à une sélection de joueurs venus tester le jeu. L'assemblée a lieu dans une église isolée et tout avait commencé dans la joie, les sourires et les applaudissements.

L'homme qui a tiré sur Allegra avait pourtant été contrôlé à l'entrée par Ted Pikul (Jude Law), stagiaire du secteur publicité de Antenna Research qui fait office ce soir-là d'agent de sécurité. Mais c'est son arme qui étonne, elle est faite en os et les balles sont des dents, voilà pourquoi ce revolver n'a pas sonné. Quelqu'un a ainsi une dent contre Allegra Geller. Pour revenir encore à Videodrome, ce revolver organique d'os et de dents cariées est une amélioration visuelle (la main de James Woods devenant revolver était un effet spécial) et une plus grande avancée dans l'horreur quand Pikul fabrique cette même arme plus tard dans le restaurant chinois.

L'autre objet organique majeur du film est le pod d'Allegra Geller, celui qui permet de jouer dans les mondes parallèles qu'elle a créé pour Antenna (d'ailleurs on ne sait pas combien de mondes elle a pu inventé). Avec ce pod, elle devient metteur en scène de la fiction. Cet objet aux formes rondes et de couleur chair, elle en titille un téton, elle en est reliée avec un cordon ombilical, elle joue avec de manière sensuelle. David Cronenberg filme Allegra allongée dans un lit, comme une scène orgasmique, elle le caresse, le pod réagit par de petits soubresauts et des couinements brefs de plaisir. Cet objet est en vérité une créature organique et orgasmique.

Pour Ted Pikul, l'orgasme est impossible. Il n'a pas de « bioport » implanté dans le bas du dos pour insérer le cordon ombilical du pod. C'est là qu'intervient Gas (Willem Dafoe), nom générique pour un garagiste. Ted et Allegra s'arrêtent à sa station service pour que Gas puisse installer ce bioport. Là aussi, David Cronenberg filme une scène sexuelle tout en métaphore, en l'occurrence il filme le dépucelage de Ted par Gas, ce dernier étant équipé d'un foret (et même de deux forets), allusion pleine d'ironie à une sodomie où Ted proteste de toutes ses forces devant l'énorme symbole phallique qu'il va le pénétrer.

Une fois dépucelé, Ted va pouvoir jouer avec Allegra, un duo qui va se déplacer de lieux en lieux en pleine forêt à bord de leur Jeep. Les routes traversées sont déréalisées, filmées en transparence, c'est déjà une manière de ne pas ancrer son film dans une époque, tout comme la volonté du cinéaste de ne pas inclure de technologie (aucun ordinateur, l'anti The Matrix sorti la même année) et plus encore dans les couleurs grises et glauques des vêtements, tous unis, ternes, strictement fonctionnels. Une petite robe à bretelle pour Allegra, un sweat et pantalon de chantier pour Ted.

Pas d'ordinateur, mais de la chair, des entrailles, du visqueux, le pod d'Allegra est tombé malade. Son ami hongrois Kiri (Ian Holm) va l'opérer. Puis, sans aucune transition, Ted et Allegra se retrouvent dans une usine de matière première pour les pod. En vérité, la transition est subtile, le sweat de Ted a certes la même couleur mais la forme diffère légèrement, tout comme la robe d'Allegra, leurs cheveux sont légèrement modifiés, ce sont surtout leur comportements qui subissent des variations, leurs fonctions narratives ont évoluées, ils sont désormais dans le jeu d'Allegra. En tous cas, cela en a tout l'air.

Dans l'usine de reptiles et poissons mutants, Ted croise Yevgueny Nourish (Don McKellar) qui lui recommande le menu spécial au restaurant chinois. Dans une boutique, Ted et Allegra font la connaissance de D'Arcy Nader (Robert A. Sullivan) et de son assistant Hugo Carlaw (Callum Keith Rennie). Chaque fois qu'ils s'adressent à ces personnages et que leurs questions, leurs remarques, leurs discours ne correspondent pas au logiciel du jeu eXistenZ, ils se mettent en pause, comme si un bug venait perturber le récit qu'il faut alors redémarrer, et cela passe par un autre pod qu'ils s'implantent dans leur trou du bas du dos.

Allegra en personne semble prise par ce bug, elle ne semble plus, dans cette usine infecte, maîtriser se vie. Plus tôt dans le film, tandis que Ted se faisait implanter son bioport par Gas, David Cronenberg la filmait dehors, seule, tout sourire à attendre. Des plans simples où elle observe l'environnement, testant la réalité, remuant le sol pour voir si le gravier s'envole comme un vrai gravier, jetant un caillou sur un panneau et caressant un reptile à deux têtes. Allegra Geller était prise pendant eXistenZ pour le metteur en scène, elle n'en était que la simple spectatrice jouissant de tout ce spectacle merveilleux qui se détraque.






























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