« Death
to the demoness, Allegra Geller », c'est par cet appel à la
mort que commence eXistenZ, comme un écho à celui de la fin
de Videodrome, deux films partageant une même brièveté mais
une intense densité narrative et dont David Cronenberg est le
scénariste. Allegra Geller (Jennifer Jason Leigh), jeune blonde
timide, est la créatrice d'un jeu de réalité parallèle (le terme
convient mieux que celui de réalité virtuelle) tout simplement
appelé eXistenZ, e minuscule, X et Z majuscules comme le présente
l'animateur à une sélection de joueurs venus tester le jeu.
L'assemblée a lieu dans une église isolée et tout avait commencé
dans la joie, les sourires et les applaudissements.
L'homme
qui a tiré sur Allegra avait pourtant été contrôlé à l'entrée
par Ted Pikul (Jude Law), stagiaire du secteur publicité de Antenna
Research qui fait office ce soir-là d'agent de sécurité. Mais
c'est son arme qui étonne, elle est faite en os et les balles sont
des dents, voilà pourquoi ce revolver n'a pas sonné. Quelqu'un a
ainsi une dent contre Allegra Geller. Pour revenir encore à
Videodrome, ce revolver organique d'os et de dents cariées
est une amélioration visuelle (la main de James Woods devenant
revolver était un effet spécial) et une plus grande avancée dans
l'horreur quand Pikul fabrique cette même arme plus tard dans le
restaurant chinois.
L'autre
objet organique majeur du film est le pod d'Allegra Geller, celui qui
permet de jouer dans les mondes parallèles qu'elle a créé pour
Antenna (d'ailleurs on ne sait pas combien de mondes elle a pu
inventé). Avec ce pod, elle devient metteur en scène de la fiction.
Cet objet aux formes rondes et de couleur chair, elle en titille un
téton, elle en est reliée avec un cordon ombilical, elle joue avec
de manière sensuelle. David Cronenberg filme Allegra allongée dans
un lit, comme une scène orgasmique, elle le caresse, le pod réagit
par de petits soubresauts et des couinements brefs de plaisir. Cet
objet est en vérité une créature organique et orgasmique.
Pour
Ted Pikul, l'orgasme est impossible. Il n'a pas de « bioport »
implanté dans le bas du dos pour insérer le cordon ombilical du
pod. C'est là qu'intervient Gas (Willem Dafoe), nom générique pour
un garagiste. Ted et Allegra s'arrêtent à sa station service pour
que Gas puisse installer ce bioport. Là aussi, David Cronenberg
filme une scène sexuelle tout en métaphore, en l'occurrence il
filme le dépucelage de Ted par Gas, ce dernier étant équipé d'un
foret (et même de deux forets), allusion pleine d'ironie à une
sodomie où Ted proteste de toutes ses forces devant l'énorme
symbole phallique qu'il va le pénétrer.
Une
fois dépucelé, Ted va pouvoir jouer avec Allegra, un duo qui va se
déplacer de lieux en lieux en pleine forêt à bord de leur Jeep.
Les routes traversées sont déréalisées, filmées en transparence,
c'est déjà une manière de ne pas ancrer son film dans une époque,
tout comme la volonté du cinéaste de ne pas inclure de technologie
(aucun ordinateur, l'anti The Matrix sorti la même année) et
plus encore dans les couleurs grises et glauques des vêtements, tous
unis, ternes, strictement fonctionnels. Une petite robe à bretelle
pour Allegra, un sweat et pantalon de chantier pour Ted.
Pas
d'ordinateur, mais de la chair, des entrailles, du visqueux, le pod
d'Allegra est tombé malade. Son ami hongrois Kiri (Ian Holm) va
l'opérer. Puis, sans aucune transition, Ted et Allegra se retrouvent
dans une usine de matière première pour les pod. En vérité, la
transition est subtile, le sweat de Ted a certes la même couleur
mais la forme diffère légèrement, tout comme la robe d'Allegra,
leurs cheveux sont légèrement modifiés, ce sont surtout leur
comportements qui subissent des variations, leurs fonctions
narratives ont évoluées, ils sont désormais dans le jeu d'Allegra.
En tous cas, cela en a tout l'air.
Dans
l'usine de reptiles et poissons mutants, Ted croise Yevgueny Nourish
(Don McKellar) qui lui recommande le menu spécial au restaurant
chinois. Dans une boutique, Ted et Allegra font la connaissance de
D'Arcy Nader (Robert A. Sullivan) et de son assistant Hugo Carlaw
(Callum Keith Rennie). Chaque fois qu'ils s'adressent à ces
personnages et que leurs questions, leurs remarques, leurs discours
ne correspondent pas au logiciel du jeu eXistenZ, ils se mettent en
pause, comme si un bug venait perturber le récit qu'il faut alors
redémarrer, et cela passe par un autre pod qu'ils s'implantent dans
leur trou du bas du dos.
Allegra
en personne semble prise par ce bug, elle ne semble plus, dans cette
usine infecte, maîtriser se vie. Plus tôt dans le film, tandis que
Ted se faisait implanter son bioport par Gas, David Cronenberg la
filmait dehors, seule, tout sourire à attendre. Des plans simples où
elle observe l'environnement, testant la réalité, remuant le sol
pour voir si le gravier s'envole comme un vrai gravier, jetant un
caillou sur un panneau et caressant un reptile à deux têtes.
Allegra Geller était prise pendant eXistenZ
pour le metteur en scène, elle n'en était que la simple spectatrice
jouissant de tout ce spectacle merveilleux qui se détraque.
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