Quand
je suis arrivé à Grenoble, il y avait 9 cinémas (Lux, Nef, Vox,
Rex, Royal, Gaumont Gambetta, Pathé Grenette, Le Club et Le Méliès)
ainsi que la Cinémathèque de Grenoble et le CCC (le ciné-club de
Grenoble). Une aubaine pour les cinéphiles – je ne l'étais pas
encore. Plus de 25 ans plus tard, il y en a un peu moins mais Le
Méliès existe encore, plus au même endroit, plus de la même
taille. Le Nouveau monde raconte l'histoire de cette
transformation, de la rue de Strasbourg en plein centre de la ville
(une salle de 96 places) à un quartier nouveau, là où se trouvait
jadis la Caserne de Bonne, trois salles, 524 fauteuils, chaque salle
a son nom, l'une donne son titre au film, en hommage à Terrence
Malick.
Dès
le départ, une belle émotion se diffuse parce que tout simplement,
je connais tous ceux qui travaillent au Méliès, Arnaud lance le
film, affairé dans sa cabine de projection de l'ancienne salle à
préparer le 35mm, à vérifier le cadre, puis c'est la voix de Laure
que j'entends à la caisse, petite discussion avec chaque spectateur.
Ce lieu où je suis allé pendant 20 ans, ce hall aux briques
apparentes, cette salle de deux rangées de fauteuils au fond (là où
j'avais ma place favorite) et deux colonnes au milieu, ça fait
quelque chose de le revoir cinq après sa fermeture. Il m'est arrivé
de présenter des films (les Election de Johnnie To, Un
jour sans fin de Harold Ramis, Odete de João Pedro
Rodrigues en sa présence).
Foin
de nostalgie, Vincent Sorrel n'enregistre aucune anecdote de l'équipe
du Méliès, il se concentre sur leur travail, sur le passage d'un
lieu à un autre, sur la manière dont ils vont devoir désormais
travailler, d'un lieu exigu mais où chacun était proche à un
cinéma vaste où ils seront plus séparés. Les discussions vont bon
train entre Bruno, le big boss, Marco, Stéphanie, Julien (passé
depuis à la FOL), Didier, Fabienne, Camille, Marine (voguant
maintenant à Toulouse), Laure et Arnaud. Sur un chouette ton de
comédie, on se chamaille sur la douceur et la couleur des fauteuils,
on s'interroge sur le scintillement des projections numériques, on
rassure les spectateurs sur l'ouverture prochaine, on fume une
dernière clope dans la salle désormais totalement vide de la rue de
Strasbourg, on tente de sortir le lourd projecteur avec huit bras.
Poésie
quand Camille présente un film pour enfants, une fleur à la
boutonnière, seuls ses gestes sont filmées, là sur Marine mimant
l'installation et le déroulé de la pellicule dans le projecteur,
beaux plans sur la poussière qui passe devant le faisceau lumineux,
hommage à Pedro Costa – où gît votre sourire enfoui et son siège
dédié dans la grande salle, inquiétude sur les premières
programmations, discussion de Bruno avec un distributeur
récalcitrant, âpres négociations avec l'architecte. Mêlant
l'ancien et le nouveau, Vincent Sorrel filme la construction à
grands coups de plans séquences, l'installation de la moquette sur
de la colle, les enfants dans la salle regardant des films dans
l'ancienne et la nouvelle salle (et parfois une rebelle qui regarde
Vincent la regardant). C'est un beau film, de 68 minutes, qu'il a mis
cinq ans à enfin proposer aux spectateurs du Méliès, c'est une
part de ma vie.
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