Dans
Dunkerque,
Christopher Nolan répond à une question essentielle et rarement
abordée dans un film de guerre : comment un troufion fait-il
pour chier ? Prenons notre jeune héros, un soldat anglais qui
déboule, avec quelques autres soldats, dans une rue de la ville du
Nord. Des tracts nazis tombent du ciel, il s'en saisit de plusieurs,
le lit en vitesse, va s'isoler dans un coin et commence à défaire
sa ceinture. Soudain, des snipers commencent à tirer. Les balles
atteignent tous les autres, lui s'en sort mais sans avoir accompli
son besoin pressant. Des soldats français l'accueillent derrière
leur barricade, il poursuit son chemin vers la plage, s'isole
derrière une dune et recommence à défaire son pantalon,
s'accroupit et se soulage.
Cette
ouverture n'a l'air de rien mais elle enclenche la méthode de
Christopher Nolan et qu'on ne lui connaissait guère. Il filme le
réalisme le plus cru, donc ici pour bien faire comprendre, un soldat
anonyme qui veut chier et qui va en chier pendant 100 minutes pour ne
pas mourir et rentrer en Angleterre, si possible sain et sauf. Une
méthode toute simple, le minimum de dialogues et une caméra portée
à l'épaule qui suit notre guide entre les obstacles qui se
dresseront constamment devant lui. Derrière ce réalisme cru,
Christopher Nolan accomplit aussi un nouvel hommage à l'un de ses
cinéastes de prédilection, il fait encore mieux que Stanley Kubrick
quand il ouvrait Eyes wide shut
avec Nicole Kidman sur ses toilettes.
L'exégète
enthousiaste (et Nolan en compte beaucoup) clamera que Dunkerque
plonge en immersion son spectateur. Il a raison. D'abord le son qui
frappe comme les premières balles qui sont tirées, un son poussé
au maximum, étourdissant, complété par une partition de Hans
Zimmer toute en boucle répétitive enveloppante, en crescendo,
histoire de créer une ambiance sourde et malsaine. Effectivement, le
spectateur que je suis est sorti lessivé de ce bruit constant. J'ai
eu l'impression que la musique ne s'arrêtait jamais, sauf lors de
l'épilogue pour une musique d'une grande mièvrerie. L'image est
également à son maximum, tournage en pellicule 70mm, mais peu de
salles peuvent projeter dans ce format, Warner Bros a envoyé aux
exploitants de salle la méthode à suivre pour une projection
optimale : un rognage de l'écran.
Le
récit se déploie sur trois temporalités. Les soldats anglais (une
semaine), le père de famille (Mark Rylance), son fils et un autre
jeune sur un rafiot (un jour) et trois pilotes (une heure). Les
temporalités se croisent, les récits reviennent dans le temps à
chaque nouveau point de vue (le pilote que joue Tom Hardy – portant
encore une fois un masque obstruant son visage – voit une scène
que le père de famille observera plus tard de son bateau). Chaque
point de vue est filmé différemment, plans d'ensemble caméra à
l'épaule pour les soldats et en travelling pour l'officier (Kenneth
Branagh), gros plans pour les pilotes alternant vision subjective et
objective, soit un simple champ contre-champ. Là est évidemment le
problème de ces boucles narratives, elles sont répétitives (un
pilote abattu, puis un deuxième, sauvés par le même père de
famille sur son bateau).
Le
film multiplie donc les boucles mais aussi les personnages, un
fonctionnement par trio, trois soldats qui s'unissent pour fuit
Dunkerque, trois pilotes anglais qui chassent les bombardiers nazis,
trois hommes sur un bateau. Hélas pour moi, j'ai assez vite confondu
les personnages (surtout les soldats, tant ils se ressemblent, c'est
peut-être voulu, il faut dire que je ne connais presque aucun de ces
acteurs britanniques). Bref, presque aucun personnage n'existe en
dehors de sa fonction narrative. Christopher Nolan aime aussi les
scènes de foule, des milliers de figurants, et on repère
immédiatement que ce n'est pas de l'image de synthèse, cela crée
là aussi un fort réalisme. Mais dans l'une des scènes, Christopher
Nolan cède au sensationnalisme, l'avion d'un pilote n'a plus une
goutte de gasoil, ce qui n'empêche pas l'avion de s'enflammer
abondamment. Rien n'est plus difficile que filmer un feu.
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