Deux
hommes se font face sur la scène d'un amphithéâtre. Le père et le
fils, ils discutent de leur relation devant les spectateurs assis sur
les gradins. Soudain, le visage du père se fait insistant, il
commence à dénigrer son rejeton, il lui dit qu'au lieu de l'appeler
Michael, il faudrait l'appeler Michelle tant il n'assume pas sa vie.
Michael, suant et anxieux, enlève sa chemise où des furoncles
rouges sont visibles sur son torse et son dos. Les spectateurs
réagissent fortement devant cette révélation de ce corps meurtri
et malade.
« Cet
homme est un génie », dit quelqu'un assis sur les gradins.
L'homme en question, celui qui est assis sur scène et qui mène
l'inquisition est le docteur Hal Raglan (Oliver Reed), inventeur
d'une nouvelle méthode de psychiatrie et les spectateurs sont ses
patients. Au fond de la salle, Frank Carveth (Art Hindle) ne pense
pas que Raglan est un génie, bien au contraire. Son épouse Nola
(Samantha Eggar) est l'une des patientes et si Frank est dans la
salle, c'est pour sa fille Candice (Cindy Hinds) qu'il vient
chercher.
Deux
films se côtoient dans Chromosome 3. Le premier est une sorte
de Kramer contre Kramer dans un Toronto glacial et
partiellement enneigé. Les parents Carveth se partagent la garde de
leur petite fille, ils se déchirent d'autant plus que Nola est
obligée d'accueillir Candice dans le centre psychiatrique du Dr.
Raglan. Le père proteste avec énergie, il craint que sa fille ne
souffre de la proximité des malades. Ce récit est à l'épreuve du
réalisme, il se situe dans un élément social contemporain, le
divorce et ses conséquences sur les enfants, avec ses crises et
menaces de procès.
Le
deuxième récit est l'apparition par petites touches du fantastique
(certains diraient de l'horreur). Des meurtres terrifiants ont lieu.
Première victime, la grand-mère de Candice, sauvagement assassinée
à coups de marteau chez elle. Des bruits viennent de la cuisine, les
bouteilles de lait sont renversées, une main défonce les placards,
se saisit d'un marteau pour attendrir la viande. Mais c'est le crâne
de la grand-mère qui sera explosé. La fillette a tout vu de ses
grands yeux écarquillés, elle comprend immédiatement qui a tué sa
grand-mère.
C'est
directement du Village des damnés que vient cette progéniture
du titre en anglais, cette enfant blonde avec son anorak rouge a des
frères ou sœurs qui viennent tuer son entourage. Après la
grand-mère, c'est au tour du grand-père, puis de l'institutrice.
Des rejetons maléfiques et terrifiants qu'un médecin légiste va
autopsier (court flash-back en sépia violet) : ils n'ont pas
d'organes génitaux, ni mâle ni femelle, pas de nombril, ils
n'existent pas mais ils sont là à terrifier Frank Carveth. La
« psychoplasmics » du bon Dr. Raglan est la mère de ces
créatures hybrides .
Le
mutisme de Candice de plus en plus prononcé s'oppose à la logorrhée
de sa mère Nola dont les séances de psychanalyse avec son médecin
sont éprouvantes. Ce personnage de mère aux longs cheveux apparaît
toujours assis, dans une large tunique blanche, telle une vierge
immaculée. Elle apparaît dans peu de scènes mais chacune d'elle
apporte un peu plus, à la fois de l'angoisse, et des réponses à
l'enquête que mène Frank, jusqu'à la révélation finale aussi
grandiloquente que l'élocution de Nola, appuyée par l'immense
musique de Howard Shore.
Pour
moi, Chromosome 3 est le premier film de David Cronenberg. Il
avait déjà fait des films depuis 10 ans, mais je n'ai jamais pris
de plaisir à les regarder comme j'en prends devant Chromosome 3
que je connais depuis des années, passages télé réguliers à la
télé (en VF bien entendu). Quand la machine cerveau se détraque,
c'est le corps qui trinque, qui se déforme, qui prend des formes
hybrides et le génie de David Cronenberg, depuis ce film jusqu'au
aujourd'hui, est de faire de cette hybridation le fond comme la forme
de son cinéma.
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