A
l'occasion de la projection du Dernier voyage de Madame Phung,
j'ai donné une conférence, à l'Ecole Art et Design de Grenoble sur
un siècle de travestissement au cinéma par le prisme du monde du
spectacle. En 12 films.
Charlot
machiniste (Charlie Chaplin, USA, 1916)
Edna,
une jeune femme cherche à devenir actrice mais personne ne veut
l'embaucher, elle se travestit en homme et elle est prise pour un
machiniste du studio de cinéma. Charlot l'embrasse en public mais
son patron croit que ce sont deux hommes. Le patron s'en va de la
pièce avec des gestes efféminés. Charlot et Edna s'en moquent, ils
continuent de s'embrasser.
La
Vénus blonde (Josef von Sternberg, USA, 1932)
Marlene
Dietrich porte un costume d'homme, nœud papillon et haut de forme,
pour reconquérir le cœur de son amant joué par Cary Grant, dans un
cabaret. Auparavant, elle avait été rejetée par son mari, privée
de son fils et interdite de travail. Que ce soit Cary Grant, dont la
vie privée et la sexualité a longtemps été sujette à discussion,
qui se laisse séduire par Marlene travestie en homme en dit long sur
le caractère révolutionnaire du film.
Certains
l'aiment chaud (Billy Wilder, USA, 1959)
Deux
musiciens témoins d'un crime de la pègre décident d'embarquer dans
un jazz band uniquement composé de femmes. Ils se travestissent pour
intégrer le groupe et échapper aux tueurs. L'un tombe amoureux de
Marilyn Monroe l'autre se lie avec un capitaine de marine, ce qui
vaudra cette réplique quand le marin découvre que sa fiancée est
un homme « nobody's perfect ».
La
Cage aux folles (Edouard Molinaro, France, 1978)
Longtemps
considéré comme un film caricatural et vulgaire, La Cage aux
folles affirme cependant, 4 ans avant la dépénalisation de
l'homosexualité en France, que Zaza Napoli incarné par Michel
Serrault, travesti flamboyant et kitsch, est bien plus libre, vivant
et amusant que le député ultra conservateur que joue Michel
Galabru. 40 ans plus tard, on dirait que rien n'a changé.
Victor
Victoria (Blake Edwards, USA, 1982)
Dans
les années folles, une chanteuse sans le sou décide de passer,
travestie, une audition pour se faire engager comme chanteur.
Victoria devient Victor et une grande vedette de cabaret. Son
travestissement va remettre en cause toutes les certitudes amoureuses
et sexuelles des autres personnages.
Torch
song trilogy (Paul Bogart, USA, 1988)
Harvey
Feinstein raconte sa propre vie d'artiste travesti dans le New York
des années 1980, les relations avec ses collègues, les moqueries de
certains spectateurs, ses amours contrariées, les rapports avec sa
mère. Toujours émouvant et drôle et vice versa.
Talons
aiguilles (Pedro Almodovar, Espagne, 1991)
Juge
le jour et chanteuse de cabaret la nuit, telle est la vie du
personnage de Miguel Bosé. Pedro Almodovar a toujours aimé les
travestis, lui-même en jouait un dans son deuxième film Le
Labyrinthe des passions en 1982. Dans les premiers films
d'Almodovar, les travestis apparaissent comme appui humoristique puis
sous un jour tragique comme dans Tout sur ma mère en 1999,
mais toujours en contrepoint politique.
Adieu
ma concubine (Chen Kaige, Chine, 1993)
Impossible
de séparer l'acteur de son rôle. Leslie Cheung était l'un des très
rares acteurs chinois gay et il s'investit totalement dans son
personnage de chanteur d'opéra chinois où il devient la concubine
Yu (le film se déroule dans les années 1930) jusqu'à tomber
amoureux de son « frère » de scène. Palme d'or 1993,
Adieu ma concubine explore le trouble identitaire et la
question du genre.
Priscilla
folle du désert (Stephan Elliott, Australie, 1994)
Au
beau milieu du désert australien, trois sublimes créatures de la
nuit débarquent pour mettre un peu de baume au cœur des habitants
peu habitués aux paillettes, au strass et aux talons hauts. Depuis
plus de 20 ans, le cinéma n'a pas réussi à égaler la flamboyance
de Priscilla, ses tenues, ses tubes et ses répliques ont mis
à plat tous les clichés sur les travestis et sur les homosexuels,
aussi culte que The Rocky horror picture show et qu'un film de
Divine, l'actrice fétiche de John Waters.
Tokyo
Godfathers (Satoshi Kon, Japon, 2003)
Rare
cas de film d'animation à traiter du travestissement, Tokyo
Godfathers voit trois SDF japonais devenir une famille quand ils
découvrent un bébé abandonné. La quête de la mère du nourrisson
est liée à la réconciliation des personnages avec leur passé pour
envisager un futur serein. Hana, « homo travesti » comme
il se présente rêve de devenir maman et retrouve la paix dans son
ancien cabaret.
Beautiful
boxer (Ekachai
Uekrongtham, Thaïlande, 2003)
C'est
une histoire vraie, celle d'un boxeur thaïlandais qui deviendra une
femme. Entre la violence de la boxe et la douceur de la chanteuse de
cabaret, c'est tout le parcours d'un homme en quête de son genre et
de sa personnalité. Immense succès en Thaïlande qui avait donné
quelques années auparavant le délirant Satreelex
sur une équipe de volley trans.
Le
Dernier voyage de Madame Phung (Nguyen Thi Tahm, Viet Nam, 2014)
Road
movie intimiste sur une troupe d'artistes de fête foraine, le
premier long métrage de cette réalisatrice vietnamienne sur ces gay
travestis qui apportent leur spectacles dans les provinces reculées
du Vietnam. Madame Phung, la cinquantaine, dirige tout ce petit monde
d'un gant de velours. On est en immersion, on suit les préparatifs
du chapiteau, les séances de maquillages, la confection des costumes
(des robes vertes et jaunes que le couturier est très fier de
montrer), les chansons sur scène, les ventes de tickets de loto, les
attractions foraines (ce jeu avec le cochon d'Inde).
Le
public est d'abord loin, éloigné de la scène, puis les artistes
travestis commencent à s'y rendre. L'accueil est plutôt bon-enfant
mais, petit à petit, certains spectateurs se font plus taquins : cet
homme au grand sourire qui veut appeler le travesti "Monsieur",
cet autre qui veut bien acheter 4 tickets de lotos s'il a un
rendez-vous après le show. Et la nuit, ce sont des bandes de jeunes
qui viennent emmerder la troup, lancer de pierres et même incendie
en fin de film. Ironiquement, on entend dire que la police "défend
les droits des homosexuels " dans la République socialiste du
Vietnam, libre et indépendante (sic).
On
découvre plein de personnages (mention à Tata Hang, fan de pop
vietnamienne) mais c'est madame Phung qui attire l'attention. Madame
Phung a le verbe haut, la formule à l'emporte pièce mais elle ne
tient pas l'alcool. Elle veut retourner dans son village natal mais
l'accueil est désastreux. Elle si joviale en début de film, le
sourire toujours sur les lèvres, se recroqueville plus le film
avance, cernée par les ennuis, la crainte de tout perdre et la
fatigue. Témoignage unique sur une troupe unique, on apprend que
Madame Phung est mort quelques semaines après la fin du tournage.
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