La
nuit noire, les phares d'une voiture, Nadia (Béatrice Dalle) dans
une robe rouge, un feu, des gens autour, quelques filles, quelques
garçons, une bouteille de champagne qui abreuve ces assoiffés, John
(Raphaël Bouvet) réclame un verre et sur le côté, Pierre (Isaïe
Sultan) ne dit rien, il observe l’œil curieux la petite troupe qui
s'agite qui discute de mathématiques, qui boit aimablement, qui se
met à danser sur du rap venu de l'autoradio.
Il
y a du mystère dans cette scène d'ouverture de Domaine.
Parce qu'elle ne sert pas de présentation des personnages, elle n'en
dit rien, tout juste comprend-on que Nadia est mathématicienne, un
métier inédit dans la carrière de Béatrice Dalle. Cette séquence
sera déconnecté du reste du récit, on ne reverra aucun de ces amis
de beuverie d'un soir, sauf John artiste de cabaret qui lance son
show avec un « ladies and gentlemen, bienvenue à Joan
Crawford ».
Tout
le film va désormais se concentrer sur les rapports entre Pierre et
Nadia en élaborant un rite, apparemment immuable. Pierre sort du
lycée, il a 17 ans, il sort son téléphone, lance un rapide coup de
fil et déclare qu'il sera là dans 30 minutes. Il rejoint Nadia au
perron de son immeuble et partent se promener dans le parc. Avec des
variations subtiles, la même scène se reproduit, scandée par un
plan en plongée sur la boue de la Garonne et un carton qui égrène
les jours.
Le
mystère se poursuit avec la teneur des dialogues qu'ils échangent.
Il ne sera pas dit grand chose de leur vie, en revanche, Nadia parle
du rythme des pas des promeneurs (ici deux vieux qui ne marchent pas
à la même cadence), elle dit détester les gens qui n'ont pas le
sens de l'orientation. Parfois, ils se mettent à courir dans le
parc, parfois ils prennent d'abord la voiture (une Mercedes) pour se
rendre plus loin, quitter quelques minutes Bordeaux.
Le
dérèglement du rite est progressif et modifie les rapports entre
eux. Pierre croise le regard d'un garçon dans le tramway. Le gars le
regarde fixement mais Pierre détourne ses yeux. Mais il ne pense
plus qu'à le recroiser, pour cela, il doit changer ses habitudes
tout en continuant de voir Nadia. Subrepticement, les liens qui
unissent Pierre et Nadia sont dévoilés, voilà enfin un mystère
qui tombe, mais un nouveau surgit avec l'arrivée de Samir (Alain
Libolt).
Pierre
était intrigué par les garçons qui tournent dans l'un des bois où
il se promène. Il décide de prendre ce tramway et croise à nouveau
le mec. Fabrice (Manuel Marmier) lui donne son numéro, lui donne
rendez-vous, lui donne un baiser. C'est une romance à peine
effleurée, Patric Chiha ne filmera pas les étreintes, seulement le
pas de la porte où ils se quittent, un plan d'ensemble où Fabrice,
sur son balcon, enlève son t-shirt provoquant un large sourire de
Pierre.
L'une
des plus belles scènes de Domaine a lieu dans une boîte de
nuit, une scène d'une sensualité folle où tous dansent au ralenti.
Non pas que la pellicule ait été ralenti, ce sont les acteurs qui
sont en slow motion. Les corps se frottent dans des mouvements
atonaux, dans une chorégraphie distanciée. La fumée crée entre
eux un espace ineffable, décelant les tensions sexuelles. Nadia
comprend qu'elle est en train de perdre Pierre sous le regard
mystérieux de Samir.
Un
film de Patric Chiha ne serait pas complet sans une visite en
Autriche. Nadia s'y rend pour faire une cure, elle est alcoolique,
elle a une cirrhose et seule les Alpes peuvent la soigner. Le
dénuement de Nadia est joué avec une intensité rare par Béatrice
Dalle, si l'on avait du mal à la voir mathématicienne, elle
convainc haut la main pour faire passer la détresse d'une femme qui
va mourir, qui a tout perdu, ses biens, ses amis et sa vie.
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