vendredi 28 avril 2017

Domaine (Patric Chiha, 2009)

La nuit noire, les phares d'une voiture, Nadia (Béatrice Dalle) dans une robe rouge, un feu, des gens autour, quelques filles, quelques garçons, une bouteille de champagne qui abreuve ces assoiffés, John (Raphaël Bouvet) réclame un verre et sur le côté, Pierre (Isaïe Sultan) ne dit rien, il observe l’œil curieux la petite troupe qui s'agite qui discute de mathématiques, qui boit aimablement, qui se met à danser sur du rap venu de l'autoradio.

Il y a du mystère dans cette scène d'ouverture de Domaine. Parce qu'elle ne sert pas de présentation des personnages, elle n'en dit rien, tout juste comprend-on que Nadia est mathématicienne, un métier inédit dans la carrière de Béatrice Dalle. Cette séquence sera déconnecté du reste du récit, on ne reverra aucun de ces amis de beuverie d'un soir, sauf John artiste de cabaret qui lance son show avec un « ladies and gentlemen, bienvenue à Joan Crawford ».

Tout le film va désormais se concentrer sur les rapports entre Pierre et Nadia en élaborant un rite, apparemment immuable. Pierre sort du lycée, il a 17 ans, il sort son téléphone, lance un rapide coup de fil et déclare qu'il sera là dans 30 minutes. Il rejoint Nadia au perron de son immeuble et partent se promener dans le parc. Avec des variations subtiles, la même scène se reproduit, scandée par un plan en plongée sur la boue de la Garonne et un carton qui égrène les jours.

Le mystère se poursuit avec la teneur des dialogues qu'ils échangent. Il ne sera pas dit grand chose de leur vie, en revanche, Nadia parle du rythme des pas des promeneurs (ici deux vieux qui ne marchent pas à la même cadence), elle dit détester les gens qui n'ont pas le sens de l'orientation. Parfois, ils se mettent à courir dans le parc, parfois ils prennent d'abord la voiture (une Mercedes) pour se rendre plus loin, quitter quelques minutes Bordeaux.

Le dérèglement du rite est progressif et modifie les rapports entre eux. Pierre croise le regard d'un garçon dans le tramway. Le gars le regarde fixement mais Pierre détourne ses yeux. Mais il ne pense plus qu'à le recroiser, pour cela, il doit changer ses habitudes tout en continuant de voir Nadia. Subrepticement, les liens qui unissent Pierre et Nadia sont dévoilés, voilà enfin un mystère qui tombe, mais un nouveau surgit avec l'arrivée de Samir (Alain Libolt).

Pierre était intrigué par les garçons qui tournent dans l'un des bois où il se promène. Il décide de prendre ce tramway et croise à nouveau le mec. Fabrice (Manuel Marmier) lui donne son numéro, lui donne rendez-vous, lui donne un baiser. C'est une romance à peine effleurée, Patric Chiha ne filmera pas les étreintes, seulement le pas de la porte où ils se quittent, un plan d'ensemble où Fabrice, sur son balcon, enlève son t-shirt provoquant un large sourire de Pierre.

L'une des plus belles scènes de Domaine a lieu dans une boîte de nuit, une scène d'une sensualité folle où tous dansent au ralenti. Non pas que la pellicule ait été ralenti, ce sont les acteurs qui sont en slow motion. Les corps se frottent dans des mouvements atonaux, dans une chorégraphie distanciée. La fumée crée entre eux un espace ineffable, décelant les tensions sexuelles. Nadia comprend qu'elle est en train de perdre Pierre sous le regard mystérieux de Samir.

Un film de Patric Chiha ne serait pas complet sans une visite en Autriche. Nadia s'y rend pour faire une cure, elle est alcoolique, elle a une cirrhose et seule les Alpes peuvent la soigner. Le dénuement de Nadia est joué avec une intensité rare par Béatrice Dalle, si l'on avait du mal à la voir mathématicienne, elle convainc haut la main pour faire passer la détresse d'une femme qui va mourir, qui a tout perdu, ses biens, ses amis et sa vie.






















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